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mie sous le feu de ses yeux noirs, je me suis réveillée sous leur flamme : même ardeur, même amour ; mais des milliers de pensées avaient passé par là ! Il avait baisé deux fois mon front.

Nous avons déjeuné dans notre voiture, à Briare. Le lendemain soir, à sept heures et demie, après avoir causé comme je causais avec toi à Blois, admirant cette Loire que nous y admirions, nous entrions dans la longue et belle avenue de tilleuls, d’acacias, de sycomores et de mélèzes qui mène à Chantepleurs. À huit heures nous dînions, à dix heures nous étions dans une charmante chambre gothique embellie de toutes les inventions du luxe moderne. Mon Felipe, que tout le monde trouve laid, m’a semblé bien beau, beau de bonté, de grâce, de tendresse, d’exquise délicatesse. Des désirs de l’amour, je ne voyais pas la moindre trace. Pendant la route, il s’était conduit comme un ami que j’aurais connu depuis quinze ans. Il m’a peint, comme il sait peindre (il est toujours l’homme de sa première lettre), les effroyables orages qu’il a contenus et qui venaient mourir à la surface de son visage. — Jusqu’à présent, il n’y a rien de bien effrayant dans le mariage, dis-je en allant à la fenêtre et voyant par une lune superbe un délicieux parc d’où s’exhalaient de pénétrantes odeurs. Il est venu près de moi, m’a reprise par la taille, et m’a dit : — Et pourquoi s’en effrayer ? Ai-je démenti par un geste, par un regard, mes promesses ? Les démentirai-je un jour ? Jamais voix, jamais regard, n’auront pareille puissance : la voix me remuait les moindres fibres du corps et réveillait tous les sentiments, le regard avait une force solaire. — Oh ! lui ai-je dit, combien de perfidie mauresque n’y a-t-il pas dans votre perpétuel esclavage ! Ma chère, il m’a comprise.

Ainsi, belle biche, si je suis restée quelques mois sans t’écrire, tu devines maintenant pourquoi. Je suis forcée de me rappeler l’étrange passé de la jeune fille pour t’expliquer la femme. Renée, je te comprends aujourd’hui. Ce n’est ni à une amie intime, ni à sa mère, ni peut-être à soi-même, qu’une jeune mariée heureuse peut parler de son heureux mariage. Nous devons laisser ce souvenir dans notre âme comme un sentiment de plus qui nous appartient en propre et pour lequel il n’y a pas de nom. Comment ! on a nommé un devoir les gracieuses folies du cœur et l’irrésistible entraînement du désir. Et pourquoi ? Quelle horrible puissance a donc imaginé de nous obliger à fouler les délicatesses du goût, les mille pudeurs de la femme, en convertissant ces voluptés en de-