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à reconquérir, je ne dirai pas l’amour, mais la tendresse de Sommervieux. Je n’ai plus d’espoir qu’en vous. Ah ! dites-moi comment vous avez pu lui plaire et lui faire oublier les premiers jours de…

À ces mots, Augustine, suffoquée par des sanglots mal contenus, fut obligée de s’arrêter. Honteuse de sa faiblesse, elle cacha son visage dans un mouchoir qu’elle inonda de ses larmes.

— Êtes-vous donc enfant, ma chère petite belle ! dit la duchesse, qui, séduite par la nouveauté de cette scène et attendrie malgré elle en recevant l’hommage que lui rendait la plus parfaite vertu qui fût peut-être à Paris, prit le mouchoir de la jeune femme et se mit à lui essuyer elle-même les yeux en la flattant par quelques monosyllabes murmurés avec une gracieuse pitié.

Après un moment de silence, la coquette, emprisonnant les jolies mains de la pauvre Augustine entre les siennes qui avaient un rare caractère de beauté noble et de puissance, lui dit d’une voix douce et affectueuse : — Pour premier avis, je vous conseillerai de ne pas pleurer ainsi, les larmes enlaidissent. Il faut savoir prendre son parti sur les chagrins ; ils rendent malade, et l’amour ne reste pas longtemps sur un lit de douleur. La mélancolie donne bien d’abord une certaine grâce qui plaît, mais elle finit par allonger les traits et flétrir la plus ravissante de toutes les figures. Ensuite, nos tyrans ont l’amour-propre de vouloir que leurs esclaves soient toujours gaies.

— Ah, madame ! il ne dépend pas de moi de ne pas sentir ! Comment peut-on, sans éprouver mille morts, voir terne, décolorée, indifférente, une figure qui jadis rayonnait d’amour et de joie ? Ah ! je ne sais pas commander à mon cœur.

— Tant pis, chère belle ; mais je crois déjà savoir toute votre histoire. D’abord, imaginez-vous bien que si votre mari vous a été infidèle, je ne suis pas sa complice. Si j’ai tenu à l’avoir dans mon salon, c’est, je l’avouerai, par amour-propre : il était célèbre et n’allait nulle part. Je vous aime déjà trop pour vous dire toutes les folies qu’il a faites pour moi. Je ne vous en révélerai qu’une seule, parce qu’elle nous servira peut-être à vous le ramener et à le punir de l’audace qu’il met dans ses procédés avec moi. Il finirait par me compromettre. Je connais trop le monde, ma chère, pour vouloir me mettre à la discrétion d’un homme trop supérieur. Sachez qu’il faut se laisser faire la cour par eux, mais les épouser !