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de Savarus dont l’existence a été brisée par elle. C’est mademoiselle de Watteville, la fameuse héritière de Besançon…

La duchesse pâlit, Philomène échangea vivement avec elle un de ces regards qui, de femme à femme, sont plus mortels que les coups de pistolet d’un duel. Francesca Soderini, qui soupçonna l’innocence d’Albert, sortit aussitôt du bal, en quittant brusquement son interlocuteur incapable de deviner la terrible blessure qu’il venait de faire à la belle duchesse de Rhétoré.

« Si vous voulez en savoir davantage sur Albert, venez au bal de l’Opéra mardi prochain, en tenant à la main un souci. »

Ce billet anonyme, envoyé par Philomène à la duchesse, amena la malheureuse Italienne au bal où Philomène lui remit en main toutes les lettres d’Albert, celle écrite par le vicaire-général à Léopold Hannequin ainsi que la réponse du notaire, et même celle où elle avait fait ses aveux à monsieur de Grancey.

— Je ne veux pas être seule à souffrir, car nous avons été tout aussi cruelles l’une que l’autre ! dit-elle à sa rivale.

Après avoir savouré la stupéfaction qui se peignit sur le beau visage de la duchesse, Philomène se sauva, ne reparut plus dans le monde, et revint avec sa mère à Besançon.

Mademoiselle de Watteville, qui vécut seule dans sa terre des Rouxey, montant à cheval, chassant, refusant ses deux ou trois partis par an, venant quatre ou cinq fois par hiver à Besançon, occupée à faire valoir sa terre, passa pour une personne extrêmement originale. Elle est une des célébrités de l’Est.

Madame de Soulas a deux enfants, un garçon et une fille, elle a rajeuni ; mais le jeune monsieur de Soulas a considérablement vieilli.

— Ma fortune me coûte cher, disait-il au jeune Chavoncourt. Pour bien connaître une dévote, il faut malheureusement l’épouser !

Mademoiselle de Watteville se conduit en fille vraiment extraordinaire. On disait d’elle : — Elle a des lubies ! Elle va tous les ans voir les murailles de la Grande-Chartreuse. Peut-être voulait-elle imiter son grand-oncle en franchissant l’enceinte de ce couvent pour y chercher son mari, comme Watteville franchit les murs de son monastère pour recouvrer la liberté.

En 1841, elle quitta Besançon dans l’intention, disait-on, de se marier ; mais, on ne sait pas encore la véritable cause de ce voyage d’où elle est revenue dans un état qui lui interdit de jamais