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Eh ! que ce soit la Mort ou la main opiniâtre d’une jeune fille acharnée à se faire aimer, que ce soit un de ces coups attribués au hasard, ne faut-il pas toujours obéir à Dieu ? Le malheur fait dans certaines âmes un vaste désert où retentit la voix de Dieu. J’ai trop tard connu les rapports entre cette vie et celle qui nous attend, car tout est usé chez moi. Je n’aurais pu servir dans les rangs de l’Église militante, je me jette pour le reste d’une vie presque éteinte au pied du sanctuaire. Voici la dernière fois que j’écris. Il a fallu que ce fût vous, qui m’aimiez et que j’aimais tant, pour me faire rompre la loi d’oubli que je me suis imposée en entrant dans la métropole de Saint-Bruno. Vous serez aussi-particulièrement dans les prières de

« Frère ALBERT. »
Novembre 1836.

— Peut-être tout est-il pour le mieux, se dit l’abbé de Grancey.

Quand il eut communiqué cette lettre à Philomène, qui baisa par un mouvement pieux le passage qui contenait sa grâce, il lui dit : — Eh ! bien, maintenant qu’il est perdu pour vous, ne voulez-vous pas vous réconcilier avec votre mère en épousant le comte de Soulas ?

— Il faudrait qu’Albert me l’ordonnât, dit-elle.

— Vous voyez qu’il est impossible de le consulter. Le Général ne le permettrait pas.

— Si j’allais le voir ?

— On ne voit point les Chartreux. Et d’ailleurs aucune femme, excepté la reine de France, ne peut entrer à la Chartreuse, dit l’abbé. Ainsi rien ne vous dispense plus d’épouser le jeune monsieur de Soulas.

— Je ne veux pas faire le malheur de ma mère, répondit Philomène.

— Satan ! s’écria le vicaire-général.

Vers la fin de cet hiver, l’excellent abbé de Grancey mourut. Il n’y eut plus entre madame de Watteville et sa fille cet ami qui s’interposait entre ces deux caractères de fer. L’événement prévu par le vicaire-général eut lieu. Au mois d’août 1837, madame de Watteville épousa monsieur de Soulas à Paris, où elle alla par le conseil de Philomène, qui se montra charmante et bonne pour sa mère.