Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/509

Cette page a été validée par deux contributeurs.

écrites, surprit tellement le vicaire-général qu’il les relut. À la dernière, Francesca, blessée au cœur par une fille qui voulait tuer l’amour chez sa rivale, avait répondu par ces simples mots : « Vous êtes libre, adieu. »

— Les crimes purement moraux et qui ne laissent aucune prise à la justice humaine, sont les plus infâmes, les plus odieux, dit sévèrement l’abbé de Grancey. Dieu les punit souvent ici-bas : là gît la raison des épouvantables malheurs qui nous paraissent inexplicables. De tous les crimes secrets ensevelis dans les mystères de la vie privée, un des plus déshonorants est celui de briser le cachet d’une lettre ou de la lire subrepticement. Toute personne, quelle qu’elle soit, poussée par quelque raison que ce soit, qui se permet cet acte, a fait une tache ineffaçable à sa probité. Sentez-vous tout ce qu’il y a de touchant, de divin dans l’histoire de ce jeune page, faussement accusé, qui porte une lettre où se trouve l’ordre de le tuer, qui se met en route sans une mauvaise pensée, que la Providence prend alors sous sa protection et qu’elle sauve, miraculeusement, disons-nous !… Savez-vous en quoi consiste le miracle ? les vertus ont une auréole aussi puissante que celle de l’Enfance innocente. Je vous dis ces choses sans vouloir vous admonester, dit le vieux prêtre à Philomène avec une profonde tristesse. Hélas ! je ne suis pas ici le grand-pénitencier, vous n’êtes pas agenouillée aux pieds de Dieu, je suis un ami terrifié par l’appréhension de vos châtiments. Qu’est-il devenu, ce pauvre Albert ? ne s’est-il pas donné la mort ? Il cachait une violence inouïe sous son calme affecté. Je comprends que le vieux prince Soderini, père de madame la duchesse d’Argaiolo, est venu redemander les lettres et les portraits de sa fille. Voilà le coup de foudre tombé sur la tête d’Albert qui aura sans doute essayé d’aller se justifier… Mais comment, en quatorze mois, n’a-t-il pas donné de ses nouvelles ?

— Oh ! si je l’épouse, il sera si heureux…

— Heureux ?… il ne vous aime pas. Vous n’aurez d’ailleurs pas une si grande fortune à lui apporter. Votre mère a la plus profonde aversion pour vous, vous lui avez fait une sauvage réponse qui l’a blessée et qui vous ruinera.

— Quoi ! dit Philomène.

— Quand elle vous a dit hier que l’obéissance était le seul moyen de réparer vos fautes, et qu’elle vous a rappelé la nécessité de vous marier en vous parlant d’Amédée. — Si vous l’aimez tant, épousez-