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sur un banc, sous un massif de rhododendron, d’où se découvrait le lac.

— Écoutez, cher abbé, vous que j’aime autant que mon père, car vous avez de l’affection pour mon Albert, il faut enfin vous l’avouer, j’ai commis des crimes pour être sa femme, et il doit être mon mari… Tenez, lisez !

Elle lui tendit un numéro de gazette qu’elle avait dans la poche de son tablier, en lui indiquant l’article suivant sous la rubrique de Florence, au 25 mai.

« Le mariage de monsieur le duc de Rhétoré, fils aîné de monsieur le duc de Chaulieu, ancien ambassadeur, avec madame la duchesse d’Argaiolo, née princesse Soderini, s’est célébré avec beaucoup d’éclat. Des fêtes nombreuses, données à l’occasion de ce mariage, animent en ce moment la ville de Florence. La fortune de madame la duchesse d’Argaiolo est une des plus considérables de l’Italie, car le feu duc l’avait instituée sa légataire universelle. »

— Celle qu’il aimait est mariée, dit-elle, je les ai séparés !

— Vous, et comment ? dit l’abbé.

Philomène allait répondre, lorsqu’un grand cri jeté par deux jardiniers, et précédé du bruit d’un corps tombant à l’eau, l’interrompit, elle se leva, courut en criant : — Oh ! mon père… Elle ne voyait plus le baron.

En voulant prendre un fragment de granit où il crut apercevoir l’empreinte d’un coquillage, fait qui eût souffleté quelque système de géologie, monsieur de Watteville s’était avancé sur le talus, avait perdu l’équilibre et roulé dans le lac dont la plus grande profondeur se trouve naturellement au pied de la chaussée. Les jardiniers eurent une peine infinie à faire prendre au baron une perche en fouillant à l’endroit où bouillonnait l’eau ; mais enfin ils le ramenèrent couvert de vase où il était entré très-avant et où il enfonçait davantage en se débattant. Monsieur de Watteville avait beaucoup dîné, sa digestion était commencée, elle fut interrompue. Quand il eut été déshabillé, nettoyé, mis au lit, il fut dans un état si visiblement dangereux, que deux domestiques montèrent à cheval, l’un pour Besançon, l’autre pour aller chercher au plus près un médecin et un chirurgien.

Quand madame de Watteville arriva huit heures après l’événement avec les premiers chirurgien et médecin de Besançon, ils trou-