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a pas demandé. Le domestique, par ordre sans doute, avait l’air de ne pas parler français.

— Et la lettre qu’a reçue si tard l’abbé de Grancey ? dit Philomène.

— C’est sans doute monsieur Girardet qui devait la lui remettre ; mais Jérôme dit que ce pauvre monsieur Girardet, qui aime l’avocat Savaron, était tout aussi saisi que lui. Celui qui est venu avec mystère s’en va, dit mademoiselle Galard, avec mystère.

Philomène eut à partir de ce récit un air penseur et absorbé qui fut visible pour tout le monde. Il est inutile de parler du bruit que fit dans Besançon la disparition de l’avocat Savaron. On sut que le préfet s’était prêté de la meilleure grâce du monde à lui expédier à l’instant un passeport pour l’étranger, car il se trouvait ainsi débarrassé de son seul adversaire. Le lendemain, monsieur de Chavoncourt fut nommé d’emblée à une majorité de cent quarante voix.

— Jean s’en alla comme il était venu, dit un électeur en apprenant la fuite d’Albert Savaron.

Cet événement vint à l’appui des préjugés qui existent à Besançon contre les étrangers et qui, deux ans auparavant, s’étaient corroborés à propos de l’affaire du journal républicain. Puis dix jours après, il n’était plus question d’Albert de Savarus. Trois personnes seulement, l’avoué Girardet, le vicaire-général et Philomène étaient gravement affectés par cette disparition. Girardet savait que l’étranger aux cheveux blancs était le prince Soderini, car il avait vu la carte, il le dit au vicaire-général ; mais Philomène, beaucoup plus instruite qu’eux, connaissait depuis environ trois mois la nouvelle de la mort du duc d’Argaiolo.

Au mois d’avril 1836, personne n’avait eu de nouvelles ni entendu parler de monsieur Albert de Savarus. Jérôme et Mariette allaient se marier ; mais la baronne avait dit confidentiellement à sa femme de chambre d’attendre le mariage de Philomène, et que les deux noces se feraient ensemble.

— Il est temps de marier Philomène, dit un jour la baronne à monsieur de Watteville, elle a dix-neuf ans, et depuis quelques mois elle change à faire peur…

— Je ne sais pas ce qu’elle a, dit le baron.

— Quand les pères ne savent pas ce qu’ont leurs filles, les mères le devinent, dit la baronne, il faut la marier.