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des voix ministérielles, et sut se ménager une entrevue secrète avec monsieur de Chavoncourt, afin de se coaliser dans l’intérêt commun. Chaque jour, et sans qu’Albert pût savoir comment, les voix du Comité-Boucher diminuèrent. Un mois avant les Élections, Albert se voyait à peine soixante voix. Rien ne résistait au lent travail de la Préfecture. Trois ou quatre hommes habiles disaient aux clients de Savarus : « Le député plaidera-t-il et gagnera-t-il vos affaires ? vous donnera-t-il ses conseils, fera-t-il vos traités, vos transactions ? Vous l’aurez pour esclave encore pour cinq ans, si au lieu de l’envoyer à la Chambre, vous lui donnez seulement l’espérance d’y aller dans cinq ans. » Ce calcul fut d’autant plus nuisible à Savarus, que déjà quelques femmes de négociants l’avaient fait. Les intéressés à l’affaire du pont et ceux des eaux d’Arcier ne résistèrent pas à une conférence avec un adroit ministériel, qui leur prouva que la protection pour eux était à la Préfecture et non pas chez un ambitieux. Chaque jour fut une défaite pour Albert, quoique chaque jour fût une bataille dirigée par lui, mais jouée par ses lieutenants, une bataille de mots, de discours, de démarches. Il n’osait aller chez le vicaire-général, et le vicaire-général ne se montrait pas. Albert se levait et se couchait avec la fièvre et le cerveau tout en feu.

Enfin arriva le jour de la première lutte, ce qu’on appelle une réunion préparatoire, où les voix se comptent, où les candidats jugent leurs chances, et où les gens habiles peuvent prévoir la chute ou le succès. C’est une scène de hustings honnête, sans populace, mais terrible : les émotions, pour ne pas avoir d’expression physique comme en Angleterre, n’en sont pas moins profondes. Les Anglais font les choses à coups de poings, en France elles se font à coups de phrases. Nos voisins ont une bataille, les Français jouent leur sort par de froides combinaisons élaborées avec calme. Cet acte politique se passe à l’inverse du caractère des deux nations. Le parti radical eut son candidat, monsieur de Chavoncourt se présenta, puis vint Albert qui fut accusé par les radicaux et par le Comité-Chavoncourt d’être un homme de la Droite sans transaction, un double de Berryer. Le Ministère avait son candidat, un homme sacrifié qui servait à masser les votes ministériels purs. Les voix ainsi divisées n’arrivèrent à aucun résultat. Le candidat républicain eut vingt voix, le Ministère en réunit cinquante, Albert en compta soixante-dix, monsieur de Chavoncourt en obtint soixante-sept. Mais la perfide Préfecture avait fait voter pour