— L’unanimité des royalistes, un accord momentané pour aller aux Élections… Enfin, plus de cent voix ! En y joignant ce que nous appelons entre nous les voix ecclésiastiques vous n’étiez pas encore nommé ; mais vous étiez maître de l’élection par le balottage. Dans ce cas, on parlemente, on arrive…
En entrant, Alfred Boucher, qui plein d’enthousiasme annonça le vœu de la réunion préparatoire, trouva le vicaire-général et l’avocat froids, calmes et graves.
— Adieu, monsieur l’abbé, dit Albert, nous causerons plus à fond de votre affaire après les Élections.
Et l’avocat prit le bras d’Alfred, après avoir serré significativement la main de monsieur de Grancey. Le prêtre regarda cet ambitieux, dont alors le visage eut cet air sublime que doivent avoir les généraux en entendant le premier coup de canon de la bataille. Il leva les yeux au ciel et sortit en se disant : — Quel beau prêtre il ferait !
L’éloquence n’est pas au barreau. Rarement l’avocat y déploie les forces réelles de l’âme, autrement il y périrait en quelques années. L’éloquence est rarement dans la Chaire aujourd’hui ; mais elle est dans certaines séances de la Chambre des Députés où l’ambitieux joue le tout pour le tout, où piqué de mille flèches il éclate à un moment donné. Mais elle est encore bien certainement chez certains êtres privilégiés dans le quart d’heure fatal où leurs prétentions vont échouer ou réussir, et où ils sont forcés de parler. Aussi dans cette réunion, Albert Savarus, en sentant la nécessité de se faire des séides, développa-t-il toutes les facultés de son âme et les ressources de son esprit. Il entra bien dans le salon, sans gaucherie ni arrogance, sans faiblesse, sans lâcheté, gravement, et se vit sans surprise au milieu de trente et quelques personnes. Déjà le bruit de la réunion et sa décision avaient amené quelques moutons dociles à la clochette. Avant d’écouter monsieur Boucher qui voulait lui lâcher un speech à propos de la résolution du Comité-Boucher, Albert réclama le silence en faisant un signe et serrant la main à monsieur Boucher, comme pour le prévenir d’un danger subitement advenu.
— Mon jeune ami, Alfred Boucher vient de m’annoncer l’honneur qui m’est fait. Mais avant que cette décision devienne définitive, dit l’avocat, je crois devoir vous expliquer quel est votre candidat, afin de vous laisser libres encore de reprendre vos paroles si mes déclarations troublaient vos consciences.