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nommé député, sera notre avocat dans l’affaire des Rouxey. Les Rouxey, m’a dit mon père, seront ma propriété, j’y veux demeurer, c’est ravissant ! Je serais au désespoir de voir cette magnifique création du grand Watteville détruite…

— Diantre ! se dit Amédée en sortant de l’hôtel de Rupt, cette fille n’est pas sotte.

Monsieur de Chavoncourt est un royaliste qui appartient aux fameux Deux-Cent-Vingt-et-Un. Aussi, dès le lendemain de la révolution de juillet, prêcha-t-il la salutaire doctrine de la prestation du serment et de la lutte avec l’Ordre de choses à l’instar des torys contre les whigs en Angleterre. Cette doctrine ne fut pas accueillie par les Légitimistes qui, dans la défaite, eurent l’esprit de se diviser d’opinions et de s’en tenir à la force d’inertie et à la Providence. En butte à la défiance de son parti, monsieur de Chavoncourt parut aux gens du Juste-Milieu le plus excellent choix à faire ; ils préférèrent le triomphe de ses opinions modérées à l’ovation d’un républicain qui réunissait les voix des exaltés et des patriotes. Monsieur de Chavoncourt, homme très-estimé dans Besançon, représentait une vieille famille parlementaire : sa fortune, d’environ quinze mille francs de rente, ne choquait personne, d’autant plus qu’il avait un fils et trois filles. Quinze mille francs de rente ne sont rien avec de pareilles charges. Or, lorsqu’en de semblables circonstances, un père de famille reste incorruptible, il est difficile que des électeurs ne l’estiment pas. Les électeurs se passionnent pour le beau idéal de la vertu parlementaire, tout autant qu’un parterre pour la peinture de sentiments généreux qu’il pratique très-peu. Madame de Chavoncourt, alors âgée de quarante ans, était une des belles femmes de Besançon. Pendant les sessions, elle vivait petitement dans un de ses domaines afin de retrouver par ses économies les dépenses que faisait à Paris monsieur de Chavoncourt. En hiver, elle recevait honorablement un jour par semaine, le mardi ; mais en entendant très-bien son métier de maîtresse de maison. Le jeune Chavoncourt, âgé de vingt-deux ans, et un autre jeune gentilhomme, nommé monsieur de Vauchelles, pas plus riche qu’Amédée, et de plus son camarade de collége, étaient excessivement liés. Ils se promenaient ensemble à Granvelle, ils faisaient quelques parties de chasse ensemble ; ils étaient si connus pour être inséparables qu’on les invitait à la campagne ensemble. Philomène, également liée avec les petites Chavoncourt, savait que ces trois jeunes gens n’avaient point de