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comprenez qu’alors nous ne serions plus chez nous. Puis ce sauvage en viendrait à dire, ce que disent les anciens des Riceys, que le terrain du lac a été pris par l’abbé de Watteville. C’est la mort des Rouxey, quoi !

— Hélas ! mon enfant, entre nous c’est vrai, dit naïvement monsieur de Watteville. Cette terre est une usurpation consacrée par le temps. Aussi, pour n’être jamais tourmenté, je voudrais proposer de définir à l’amiable mes limites de ce côté de la Dent de Vilard, et j’y bâtirais un mur.

— Si vous cédez devant la république, elle vous dévorera. C’était à vous de menacer les Riceys.

— C’est ce que je disais hier au soir à monsieur, répondit Modinier. Mais, pour abonder dans ce sens, je lui proposais de venir voir s’il n’y avait pas, de ce côté de la Dent ou de l’autre, à une hauteur quelconque, des traces de clôture.

Depuis cent ans, de part et d’autre on exploitait la Dent de Vilard, cette espèce de mur mitoyen entre la commune des Riceys et les Rouxey, qui ne rapportait pas grand’chose, sans en venir à des moyens extrêmes. L’objet en litige, étant couvert de neige six mois de l’année, était de nature à refroidir la question. Aussi fallut-il l’ardeur soufflée par la révolution de 1830 aux défenseurs du peuple, pour réveiller cette affaire par laquelle monsieur Chantonnit, maire des Riceys, voulait dramatiser son existence sur la tranquille frontière de Suisse et immortaliser son administration. Chantonnit, comme son nom l’indique, était originaire de Neufchâtel.

— Mon cher père, dit Philomène en rentrant dans la barque, j’approuve Modinier. Si vous voulez obtenir la mitoyenneté de la Dent de Vilard, il est nécessaire d’agir avec vigueur, et d’obtenir un jugement qui vous mette à l’abri des entreprises de ce Chantonnit. Pourquoi donc auriez-vous peur ? Prenez pour avocat le fameux Savaron, prenez-le promptement pour que Chantonnit ne le charge pas des intérêts de sa commune. Celui qui a gagné la cause du Chapitre contre la Ville, gagnera bien celle des Watteville contre les Riceys ! D’ailleurs, dit-elle, les Rouxey seront un jour à moi (le plus tard possible, je l’espère), eh ! bien, ne me laissez pas de procès. J’aime cette terre, et je l’habiterai souvent, je l’augmenterai tant que je pourrai. Sur ces rives, dit-elle en montrant les bases des deux Rouxey, je découperai des corbeilles, j’en ferai