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ta mise ? Si ton front sublime se raye ? Si nos auteurs te distrayent ? Si les chants de Victor Hugo t’exaltent ? Je lis les livres que tu lis. Il n’y a pas jusqu’à ta promenade sur le lac qui ne m’ait attendri. Ta lettre est belle, suave comme ton âme ! Ô fleur céleste et constamment adorée ! aurais-je pu vivre sans ces chères lettres qui, depuis onze ans, m’ont soutenu dans ma voie difficile, comme une clarté, comme un parfum, comme un chant régulier, comme une nourriture divine, comme tout ce qui console et charme la vie ! Ne manque pas ! Si tu savais quelle est mon angoisse la veille du jour où je les reçois, et ce qu’un retard d’un jour me cause de douleur ! Est-elle malade ? est-ce lui ? Je suis entre l’enfer et le paradis, je deviens fou ! Cara diva, cultive toujours la musique, exerce ta voix, étudie. Je suis ravi de cette conformité de travaux et d’heures qui fait que, séparés par les Alpes, nous vivons exactement de la même manière. Cette pensée me charme et me donne bien du courage. Quand j’ai plaidé pour la première fois, je ne t’ai pas encore dit cela, je me suis figuré que tu m’écoutais, et j’ai senti tout à coup en moi ce mouvement d’inspiration qui met le poëte au-dessus de l’humanité. Si je vais à la Chambre, oh ! tu viendras à Paris pour assister à mon début.

30 au soir.

« Mon Dieu ! combien je t’aime. Hélas ! j’ai mis trop de choses dans mon amour et dans mes espérances. Un hasard qui ferait chavirer cette barque trop chargée emporterait ma vie ! Voici trois ans que je ne t’ai vue, et à l’idée d’aller à Belgirate, mon cœur bat si fort, que je suis obligé de m’arrêter… Te voir, entendre cette voix enfantine et caressante ! embrasser par les yeux ce teint d’ivoire, si éclatant aux lumières, et sous lequel on devine ta noble pensée ! admirer tes doigts jouant avec les touches, recevoir toute ton âme dans un regard, et ton cœur dans l’accent d’un : Oimé ! ou d’un : Alberto ! nous promener devant tes orangers en fleur, vivre quelques mois au sein de ce sublime paysage… Voilà la vie. Oh ! quelle niaiserie que de courir après le pouvoir, un nom, la fortune ! Mais tout est à Belgirate : là est la poésie, là est la gloire ! J’aurais dû me faire ton intendant, ou, comme ce cher tyran que nous ne pouvons haïr me le proposait, y vivre en cavalier servant, ce que notre ardente passion ne