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velle publiée dans la Revue, elle comprit alors Albert tout entier. Naturellement elle s’exagéra les proportions déjà fortes de cette belle âme, de cette volonté puissante ; et son amour pour Albert devint alors une passion dont la violence s’accrut de toute la force de sa jeunesse, des ennuis de sa solitude et de l’énergie secrète de son caractère. Aimer est déjà chez une jeune personne un effet de la loi naturelle ; mais quand son besoin d’affection se porte sur un homme extraordinaire, il s’y mêle l’enthousiasme qui déborde dans les jeunes cœurs. Aussi mademoiselle de Watteville arriva-t-elle en quelques jours à une phase quasi morbide et très-dangereuse de l’exaltation amoureuse.

La baronne était très-contente de sa fille, qui, sous l’empire de ses profondes préoccupations, ne lui résistait plus, paraissait appliquée à ses divers ouvrages de femme, et réalisait son beau idéal de la fille soumise.

L’avocat plaidait alors deux ou trois fois par semaine. Quoique accablé d’affaires, il suffisait au Palais, au contentieux du commerce, à la Revue, et restait dans un profond mystère en comprenant que plus son influence serait sourde et cachée, plus réelle elle serait. Mais il ne négligeait aucun moyen de succès, en étudiant la liste des électeurs bisontins et recherchant leurs intérêts, leurs caractères, leurs diverses amitiés, leurs antipathies. Un cardinal voulant être pape s’est-il jamais donné tant de soin ?

Un soir, Mariette, en venant habiller Philomène pour une soirée, lui apporta, non sans gémir sur cet abus de confiance, une lettre dont la suscription fit frémir, et pâlir, et rougir mademoiselle de Watteville.


À MADAME LA DUCHESSE D’ARGAIOLO.
(née princesse Soderini),
à Belgirate,
Lac Majeur.
Italie.

À ses yeux, cette adresse brilla comme dut briller Mané, Thecel, Pharès, aux yeux de Balthasar. Après avoir caché la lettre, elle descendit pour aller avec sa mère chez madame de Chavoncourt. Pendant cette soirée, Philomène fut assaillie de remords