quêtes, j’allais enfin entrer, comme un rouage nécessaire, dans la machine politique, j’ai commis la faute de rester fidèle aux vaincus, de lutter pour eux, sans eux. Ah ! pourquoi n’avais-je que trente-trois ans, et comment ne t’ai-je pas prié de me rendre éligible ? Je t’ai caché tous mes dévouements et mes périls. Que veux-tu ? j’avais la foi ! nous n’eussions pas été d’accord. Il y a dix mois, pendant que tu me voyais si gai, si content, écrivant mes articles politiques, j’étais au désespoir : je me voyais à trente-sept ans, avec deux mille francs pour toute fortune, sans la moindre célébrité, venant d’échouer dans une noble entreprise, celle d’un journal quotidien qui ne répondait qu’à un besoin de l’avenir, au lieu de s’adresser aux passions du moment. Je ne savais plus quel parti prendre. Et, je me sentais ! J’allais, sombre et blessé, dans les endroits solitaires de ce Paris qui m’avait échappé, pensant à mes ambitions trompées, mais sans les abandonner. Oh ! quelles lettres empreintes de rage ne lui ai-je pas écrites alors, à elle, cette seconde conscience, cet autre moi ! Par moments, je me disais : — Pourquoi m’être tracé un si vaste programme pour mon existence ? pourquoi tout vouloir ? pourquoi ne pas attendre le bonheur en me vouant à quelque occupation quasi mécanique ?
« J’ai jeté les yeux alors sur une modeste place où je pusse vivre. J’allais avoir la direction d’un journal sous un gérant qui ne savait pas grand’chose, un homme d’argent ambitieux, quand la terreur m’a pris.
— « Voudra-t-elle pour mari d’un amant qui sera descendu si bas ? me suis-je dit. »
« Cette réflexion m’a rendu mes vingt-deux ans ! Oh ! mon cher Léopold, combien l’âme s’use dans ces perplexités ! Que doivent donc souffrir les aigles en cage, les lions emprisonnés ?… Ils souffrent tout ce que souffrait Napoléon, non pas à Sainte-Hélène, mais sur le quai des Tuileries, au 10 août, quand il voyait Louis XVI se défendant si mal, lui qui pouvait dompter la sédition comme il le fit plus tard sur les mêmes lieux, en vendémiaire ! Eh ! bien, ma vie a été cette souffrance d’un jour, étendue sur quatre ans. Combien de discours à la Chambre n’ai-je pas prononcés dans les allées désertes du bois de Boulogne ? Ces improvisations inutiles ont du moins aiguisé ma langue et accoutumé mon esprit à formuler ses pensées en paroles. Durant