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— Francesca, dit-il en lui prenant la main, y a-t-il un seul regret dans ton cœur ?…

Elle garda le silence, dégagea sa main qui tenait le mouchoir brodé, pour s’essuyer de nouveau les yeux.

— Pardon, reprit-il. Et, par un élan, il atteignit aux yeux pour essuyer les larmes par des baisers.

Francesca ne s’aperçut pas de ce mouvement passionné, tant elle était violemment émue. Rodolphe, croyant à un consentement, s’enhardit ; il saisit Francesca par la taille, la serra sur son cœur et prit un baiser ; mais elle se dégagea par un magnifique mouvement de pudeur offensée, et à deux pas, en le regardant sans colère, mais avec résolution : — Partez ce soir, dit-elle, nous ne nous reverrons plus qu’à Naples.

Malgré la sévérité de cet ordre, il fut exécuté religieusement, car Francesca le voulut.

De retour à Paris, Rodolphe trouva chez lui le portrait de la princesse Gandolphini, fait par Schinner, comme Schinner sait faire les portraits. Ce peintre avait passé par Genève en allant en Italie. Comme il s’était refusé positivement à faire les portraits de plusieurs femmes, Rodolphe ne croyait pas que le prince, excessivement désireux du portrait de sa femme, eût pu vaincre la répugnance du peintre célèbre ; mais Francesca l’avait séduit sans doute, et obtenu de lui, ce qui tenait du prodige, un portrait original pour Rodolphe, une copie pour Emilio. C’est ce que lui disait une charmante et délicieuse lettre où la pensée se dédommageait de la retenue imposée par la religion des convenances. L’amoureux répondit. Ainsi commença, pour ne plus finir, une correspondance entre Rodolphe et Francesca, seul plaisir qu’ils se permirent.

Rodolphe, en proie à une ambition que légitimait son amour, se mit aussitôt à l’œuvre. Il voulut d’abord la fortune, et se risqua dans une entreprise où il jeta toutes ses forces aussi bien que tous ses capitaux ; mais il eut à lutter, avec l’inexpérience de la jeunesse, contre une duplicité qui triompha de lui. Trois ans se perdirent dans une vaste entreprise, trois ans d’efforts et de courage.

Le ministère Villèle succombait aussi quand succomba Rodolphe. Aussitôt l’intrépide amoureux voulut demander à la Politique ce que l’Industrie lui avait refusé ; mais avant de se lancer dans les orages de cette carrière, il alla tout blessé, tout souffrant, faire panser ses plaies et puiser du courage à Naples, où le prince et la princesse