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— Non, que je sache, lui répondit son hôte. Le prince et la princesse Colonna de Rome ont loué pour trois ans la campagne de monsieur Jeanrenaud, une des plus belles du lac. Elle est située entre la Villa-Diodati et la campagne de monsieur Lafin-De-Dieu qu’a louée la vicomtesse de Beauséant. Le prince Colonne est venu là pour sa fille et pour son gendre le prince Gandolphini, un Napolitain, ou, si vous voulez, Sicilien, ancien partisan du roi Murat et victime de la dernière révolution. Voilà les derniers venus à Genève, et ils ne sont point Milanais. Il a fallu de grandes démarches et la protection que le pape accorde à la famille Colonna pour qu’on ait obtenu, des puissances étrangères et du roi de Naples, la permission pour le prince et la princesse Gandolphini de résider ici. Genève ne veut rien faire qui déplaise à la Sainte-Alliance, à qui elle doit son indépendance. Notre rôle n’est pas de fronder les Cours étrangères. Il y a beaucoup d’étrangers ici : des Russes, des Anglais.

— Il y a même des Genevois.

— Oui, monsieur. Notre lac est si beau ! Lord Byron y a demeuré il y a sept ans environ, à la Villa-Diodati, que maintenant tout le monde va voir comme Coppet, comme Ferney.

— Vous ne pourriez pas savoir s’il est venu, depuis une semaine, un libraire de Milan et sa femme, un nommé Lamporani, l’un des chefs de la dernière révolution ?

— Je puis le savoir en allant au Cercle des Étrangers, dit l’ancien bijoutier.

La première promenade de Rodolphe eut naturellement pour objet la Villa-Diodati, cette résidence de lord Byron à laquelle la mort récente de ce grand poëte donnait encore plus d’attrait : la mort est le sacre du génie. Le chemin qui des Eaux-Vives côtoie le lac de Genève est comme toutes les routes de Suisse, assez étroit ; mais en certains endroits, par la disposition du terrain montagneux, à peine reste-t-il assez d’espace pour que deux voitures s’y croisent. À quelques pas de la maison Jeanrenaud, près de laquelle il arrivait sans le savoir, Rodolphe entendit derrière lui le bruit d’une voiture ; et, se trouvant dans une espèce de gorge, il grimpa sur la pointe d’une roche pour laisser le passage libre. Naturellement il regarda venir la voiture, une élégante calèche attelée de deux magnifiques chevaux anglais. Il lui prit un éblouissement en voyant au fond de cette calèche Francesca divinement mise, à côté