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elle ne se sentait vivre que depuis deux mois ! Aussi ne faut-il pas juger de l’effet que cette œuvre dut produire sur elle d’après les données ordinaires. Sans rien préjuger du plus ou du moins de mérite de cette composition due à un Parisien qui apportait en province la manière, l’éclat, si vous voulez, de la nouvelle école littéraire, elle ne pouvait point ne pas être un chef-d’œuvre pour une jeune personne livrant sa vierge intelligence, son cœur pur à un premier ouvrage de ce genre. D’ailleurs, sur ce qu’elle en avait entendu dire, Philomène s’était fait, par intuition, une idée qui rehaussait singulièrement la valeur de cette Nouvelle. Elle espérait y trouver les sentiments et peut-être quelque chose de la vie d’Albert. Dès les premières pages, cette opinion prit chez elle une si grande consistance, qu’après avoir achevé ce fragment, elle eut la certitude de ne pas se tromper. Voici donc cette confidence où, selon les critiques du salon Chavoncourt, Albert aurait imité quelques-uns des écrivains modernes qui, faute d’invention, racontent leurs propres joies, leurs propres douleurs ou les événements mystérieux de leur existence.



L’AMBITIEUX PAR AMOUR.

En 1823, deux jeunes gens qui s’étaient donné pour thème de voyage de parcourir la Suisse, partirent de Lucerne par une belle matinée du mois de juillet, sur un bateau que conduisaient trois rameurs, et allaient à Fluelen en se promettant de s’arrêter sur le lac des Quatre-Cantons à tous les lieux célèbres. Les paysages qui de Lucerne à Fluelen environnent les eaux, présentent toutes les combinaisons que l’imagination la plus exigeante peut demander aux montagnes et aux rivières, aux lacs et aux rochers, aux ruisseaux et à la verdure, aux arbres et aux torrents. C’est tantôt d’austères solitudes et de gracieux promontoires, des vallées coquettes et fraîches, des forêts placées comme un panache sur le granit taillé droit, des baies solitaires et fraîches qui s’ouvrent, des vallées dont les trésors apparaissent embellies par le lointain des rêves.

En passant devant le charmant bourg de Gersau, l’un des deux amis regarda longtemps une maison en bois qui paraissait construite depuis peu de temps, entourée d’un palis, assise sur un promon-