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drioles que presque toutes les dévotes aiment à entendre dire, autorisées qu’elles sont par leurs grandes vertus à contempler des abîmes sans y choir et les embûches du démon sans s’y prendre. Comprenez-vous pourquoi ce lion ne se permettait pas la plus légère intrigue ? il clarifiait sa vie, il vivait en quelque sorte dans la rue afin de pouvoir jouer le rôle d’amant sacrifié près de la baronne, et lui régaler l’Esprit des péchés qu’elle interdisait à sa Chair. Un homme qui possède le privilége de couler des choses lestes dans l’oreille d’une dévote, est à ses yeux un homme charmant. Si ce lion exemplaire eût mieux connu le cœur humain, il aurait pu sans danger se permettre quelques amourettes parmi les grisettes de Besançon qui le regardaient comme un roi : ses affaires se seraient avancées auprès de la sévère et prude baronne. Avec Philomène, ce caton paraissait dépensier : il professait la vie élégante, il lui montrait en perspective le rôle brillant d’une femme à la mode à Paris, où il irait comme député. Ces savantes manœuvres furent couronnées par un plein succès. En 1834, les mères des quarante familles nobles qui composent la haute société bisontine, citaient le jeune monsieur Amédée de Soulas, comme le plus charmant jeune homme de Besançon, personne n’osait disputer la place au coq de l’hôtel de Rupt, et tout Besançon le regardait comme le futur époux de Philomène de Watteville. Il y avait eu déjà même à ce sujet quelques paroles échangées entre la baronne et Amédée, auxquelles la prétendue nullité du baron donnait une certitude.

Mademoiselle Philomène de Watteville à qui sa fortune, énorme un jour, prêtait alors des proportions considérables, élevée dans l’enceinte de l’hôtel de Rupt que sa mère quitta rarement, tant elle aimait le cher archevêque, avait été fortement comprimée par une éducation exclusivement religieuse, et par le despotisme de sa mère qui la tenait sévèrement par principes. Philomène ne savait absolument rien. Est-ce savoir quelque chose que d’avoir étudié la géographie dans Guthrie, l’histoire sainte, l’histoire ancienne, l’histoire de France, et les quatre règles, le tout passé au tamis d’un vieux jésuite ? Dessin, musique et danse furent interdits, comme plus propres à corrompre qu’à embellir la vie. La baronne apprit à sa fille tous les points possibles de la tapisserie et les petits ouvrages de femme : la couture, la broderie, le filet. À dix-sept ans, Philomène n’avait lu que les Lettres Edifiantes, et des ouvrages