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francs par mois, à la charge de se nourrir, ce qui paraissait monstrueux aux grisettes de Besançon : quatre cent vingt francs à un enfant de quinze ans, sans compter les cadeaux ! Les cadeaux consistaient dans la vente des habits réformés, dans un pourboire quand Soulas troquait l’un de ses deux chevaux, et la vente des fumiers. Les deux chevaux, administrés avec une sordide économie, coûtaient l’un dans l’autre huit cents francs par an. Le compte des fournitures à Paris en parfumeries, cravates, bijouterie, pots de vernis, habits, allait à douze cents francs. Si vous additionnez groom ou tigre, chevaux, tenue superlative, et loyer de six cents francs, vous trouverez un total de trois mille francs. Or, le père du jeune monsieur de Soulas ne lui avait pas laissé plus de quatre mille francs de rentes produits par quelques métairies assez chétives qui exigeaient de l’entretien, et dont l’entretien imprimait une certaine incertitude aux revenus. À peine restait-il trois francs par jour au lion pour sa vie, sa poche et son jeu. Aussi dînait-il souvent en ville, et déjeunait-il avec une frugalité remarquable. Quand il fallait absolument dîner à ses frais, il allait à la pension des officiers. Le jeune monsieur de Soulas passait pour un dissipateur, pour un homme qui faisait des folies ; tandis que le malheureux nouait les deux bouts de l’année avec une astuce, avec un talent qui eussent fait la gloire d’une bonne ménagère. On ignorait encore, à Besançon surtout, combien six francs de vernis étalé sur des bottes ou sur des souliers, des gants jaunes de cinquante sous nettoyés dans le plus profond secret pour les faire servir trois fois, des cravates de dix francs qui durent trois mois, quatre gilets de vingt-cinq francs et des pantalons qui emboîtent la botte imposent à une capitale ! Comment en serait-il autrement, puisque nous voyons à Paris des femmes accordant une attention particulière à des sots qui viennent chez elles et l’emportent sur les hommes les plus remarquables, à cause de ces frivoles avantages qu’on peut se procurer pour quinze louis, y compris la frisure et une chemise de toile de Hollande ?

Si cet infortuné jeune homme vous paraît être devenu lion à bien bon marché, apprenez qu’Amédée de Soulas était allé trois fois en Suisse, en char et à petites journées ; deux fois à Paris, et une fois de Paris en Angleterre. Il passait pour un voyageur instruit et pouvait dire : En Angleterre, où je suis allé, etc. Les douairières lui disaient : Vous qui êtes allé en Angleterre, etc. Il avait