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— Vous êtes vraie, et je vous en aime davantage, dit Thaddée en prenant et baisant la main de Clémentine qui le laissa faire. Dans de si solennels instants, il y a je ne sais quelle satisfaction à trouver une femme sans hypocrisie. On peut causer avec vous. Voyons l’avenir ; supposons que Dieu ne vous écoute pas, et je suis un de ceux qui sont le plus disposés à lui crier : — Laissez-moi mon ami ! Oui, ces cinquante nuits n’ont pas affaibli mes yeux, et fallût-il trente jours et trente nuits de soins, vous dormirez, vous, madame, quand je veillerai. Je saurai l’arracher à la mort si, comme ils le disent, on peut le sauver par des soins. Enfin, malgré vous et malgré moi, le comte est mort. Eh bien ! si vous étiez aimée, oh ! mais adorée par un homme de cœur et d’un caractère digne du vôtre…

— J’ai peut-être follement désiré d’être aimée, mais je n’ai pas rencontré…

— Si vous aviez été trompée…

Clémentine regarda fixement Thaddée en lui supposant moins de l’amour qu’une pensée cupide, elle le couvrit de son mépris en le toisant des pieds à la tête, et l’écrasa par ces deux mots : Pauvre Malaga ! prononcés en trois tons que les grandes dames seules savent trouver dans le registre de leurs dédains. Elle se leva, laissa Thaddée évanoui, car elle ne se retourna point, marcha d’un mouvement noble vers son boudoir et remonta dans la chambre d’Adam.

Une heure après, Paz revint dans la chambre du malade ; et comme s’il n’avait pas reçu le coup de la mort, il prodigua ses soins au comte. Depuis ce fatal moment il devint taciturne ; il eut d’ailleurs un duel avec la maladie, il la combattait de manière à exciter l’admiration des médecins. À toute heure on trouvait ses yeux allumés comme deux lampes. Sans témoigner le moindre ressentiment à Clémentine, il écoutait ses remercîments sans les accepter, il semblait être sourd. Il s’était dit : Elle me devra la vie d’Adam ! et cette parole, il l’écrivait pour ainsi dire en traits de feu dans la chambre du malade. Le quinzième jour, Clémentine fut obligée de restreindre ses soins, sous peine de succomber à tant de fatigues. Paz était infatigable. Enfin, vers la fin du mois d’août, Bianchon, le médecin de la maison, répondit de la vie du comte à Clémentine.

— Ah ! madame, ne m’en ayez pas la moindre obligation, dit-il. Sans son ami nous ne l’aurions pas sauvé !