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Malaga, la reine des danses de carnaval, de passer une nuit au bal Musard, quand il sut que la comtesse, déguisée jusqu’aux dents, devait venir voir, avec deux autres jeunes femmes accompagnées de leurs maris, le curieux spectacle d’un de ces bals monstrueux. Le mardi-gras de l’année 1838, à quatre heures du matin, la comtesse, enveloppée d’un domino noir et assise sur les gradins d’un des amphithéâtres de cette salle babylonienne, où depuis Valentino donne ses concerts, vit défiler dans le galop Thaddée en Robert-Macaire conduisant l’écuyère en costume de sauvagesse, la tête harnachée de plumes comme un cheval du sacre, et bondissant par-dessus les groupes, en vrai feu follet.

— Ah ! dit Clémentine à son mari, vous autres Polonais, vous êtes des gens sans caractère. Qui n’aurait pas eu confiance en Thaddée ? Il m’a donné sa parole, sans savoir que je serais ici voyant tout et n’étant pas vue.

Quelques jours après, elle eut Paz à dîner. Après le dîner, Adam les laissa seuls, et Clémentine gronda Thaddée de manière à lui faire sentir qu’elle ne le voulait plus au logis.

— Oui, madame, dit humblement Thaddée, vous avez raison, je suis un misérable, j’avais donné ma parole. Mais que voulez-vous ? j’avais remis à quitter Malaga après le carnaval… Je serai franc, d’ailleurs : cette femme exerce un tel empire sur moi que…

— Une femme qui se fait mettre à la porte de chez Musard par les sergents de ville, et pour quelle danse !

— J’en conviens, je passe condamnation, je quitterai votre maison ; mais vous connaissez Adam. Si je vous abandonne les rênes de votre fortune, il vous faudra déployer bien de l’énergie. Si j’ai le vice de Malaga, je sais avoir l’œil à vos affaires, tenir vos gens et veiller aux moindres détails. Laissez-moi donc ne vous quitter qu’après vous avoir vue en état de continuer mon administration. Vous avez maintenant trois ans de mariage, et vous êtes à l’abri des premières folies que fait faire la lune de miel. Les Parisiennes, et les plus titrées, s’entendent aujourd’hui très-bien à gouverner une fortune et une maison… Eh bien ! quand je serai certain moins de votre capacité que de votre fermeté, je quitterai Paris.

— C’est le Thaddée de Varsovie et non le Thaddée du Cirque qui parle, répondit-elle. Revenez-nous guéri.

— Guéri ?… jamais, dit Paz les yeux baissés en regardant les jolis pieds de Clémentine. Vous ignorez, comtesse, ce que cette