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mais ce qui rend les amitiés indissolubles, nous l’avons éprouvé. Chez nous, il y a cet échange constant d’impressions heureuses de part et d’autre, qui peut-être fait sous ce rapport l’amitié plus riche que l’amour.

Une jolie main ferma la bouche au comte si promptement que le geste ressemblait à un soufflet.

— Mais oui, dit-il. L’amitié, mon ange, ignore les banqueroutes du sentiment et les faillites du plaisir. Après avoir donné plus qu’il n’a, l’amour finit par donner moins qu’il ne reçoit.

— D’un côté, comme de l’autre, dit en souriant Clémentine.

— Oui, reprit Adam ; tandis que l’amitié ne peut que s’augmenter. Tu n’as pas à faire la moue : nous sommes, mon ange, aussi amis qu’amants. Nous avons, du moins, je l’espère, réuni les deux sentiments dans notre heureux mariage.

— Je vais t’expliquer ce qui vous a rendus si bons amis, dit Clémentine. La différence de vos deux existences vient de vos goûts et non d’un choix obligé, de votre fantaisie et non de vos positions. Autant qu’on peut juger un homme en l’entrevoyant, et d’après ce que tu me dis, ici le subalterne peut devenir dans certains moments le supérieur.

— Oh ! Paz m’est vraiment supérieur, répliqua naïvement Adam. Je n’ai d’autre avantage sur lui que le hasard.

Sa femme l’embrassa pour la noblesse de cet aveu.

— L’excessive adresse avec laquelle il cache la grandeur de ses sentiments est une immense supériorité, reprit le comte. Je lui ai dit : — Tu es un sournois, tu as dans le cœur de vastes domaines où tu te retires. Il a droit au titre de comte Paz, il ne se fait appeler à Paris que le capitaine.

— Enfin, le Florentin du moyen âge a reparu à trois cents ans de distance, dit la comtesse. Il y a du Dante et du Michel-Ange chez lui.

— Tiens, tu as raison, il est poëte par l’âme, répondit Adam.

— Me voilà donc mariée à deux Polonais, dit la jeune comtesse avec un geste digne de Marie Dorval.

— Chère enfant ! dit Adam en pressant Clémentine sur lui, tu m’aurais fait bien du chagrin si mon ami ne t’avait pas plu : nous en avions peur l’un et l’autre, quoiqu’il ait été ravi de mon mariage. Tu le rendras très-heureux en lui disant que tu l’aimes… ah ! comme un vieil ami.