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que ses rides ne paraissaient presque plus ; mais loin de recevoir un éclat factice de ce carmin foncé, ses yeux n’en étaient que plus ternes. Elle portait une grande quantité de diamants, et s’habillait avec assez de goût pour ne pas prêter au ridicule. Son nez pointu annonçait l’épigramme. Un râtelier bien mis conservait à sa bouche une grimace d’ironie qui rappelait celle de Voltaire. Cependant l’exquise politesse de ses manières adoucissait si bien la tournure malicieuse de ses idées qu’on ne pouvait l’accuser de méchanceté. Les yeux gris de la vieille dame s’animèrent, un regard triomphal accompagné d’un sourire qui disait : — Je vous l’avais bien promis ! traversa le salon, et répandit l’incarnat de l’espérance sur les joues pâles de la jeune femme qui gémissait au pied du candélabre. Cette alliance entre madame de Grandlieu et l’inconnue ne pouvait échapper à l’œil exercé de la comtesse de Vaudremont, qui entrevit un mystère et le voulut pénétrer. En ce moment, le baron de la Roche-Hugon, après avoir achevé de questionner toutes les douairières sans pouvoir apprendre le nom de la dame bleue, s’adressait en désespoir de cause à la comtesse de Gondreville, et n’en recevait que cette réponse peu satisfaisante : — C’est une dame que l’ancienne duchesse de Grandlieu m’a présentée. En se retournant par hasard vers la bergère occupée par la vieille dame, le maître des requêtes en surprit le regard d’intelligence lancé sur l’inconnue, et quoiqu’il fût assez mal avec elle depuis quelque temps, il résolut de l’aborder. En voyant le sémillant baron rôdant autour de sa bergère, l’ancienne duchesse sourit avec une malignité sardonique, et regarda madame de Vaudremont d’un air qui fit rire le colonel Montcornet.

— Si la vieille bohémienne prend un air d’amitié, pensa le baron, elle va sans doute me jouer quelque méchant tour. — Madame, lui dit-il, vous vous êtes chargée, me dit-on, de veiller sur un bien précieux trésor !

— Me prenez-vous pour un dragon, demanda la vieille dame. Mais de qui parlez-vous ? ajouta-t-elle avec une douceur de voix qui rendit l’espérance à Martial.

— De cette petite dame inconnue que la jalousie de toutes ces coquettes a confinée là-bas. Vous connaissez sans doute sa famille ?

— Oui, dit la duchesse ; mais que voulez-vous faire d’une héritière de province, mariée depuis quelque temps, une fille bien née que vous ne connaissez pas, vous autres, elle ne va nulle part.