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lienne, par le génie de l’intrigue, par cette éloquence de salon et cette science des manières qui remplacent si facilement les éminentes qualités d’un homme solide. Quoique vive et jeune, sa figure possédait déjà l’éclat immobile du fer-blanc, l’une des qualités indispensables aux diplomates et qui leur permet de cacher leurs émotions, de déguiser leurs sentiments, si toutefois cette impassibilité n’annonce pas en eux l’absence de toute émotion et la mort des sentiments. On peut regarder le cœur des diplomates comme un problème insoluble, car les trois plus illustres ambassadeurs de l’époque se sont signalés par la persistance de la haine, et par des attachements romanesques. Néanmoins, Martial appartenait à cette classe d’hommes capables de calculer leur avenir au milieu de leurs plus ardentes jouissances, il avait déjà jugé le monde et cachait son ambition sous la fatuité de l’homme à bonnes fortunes, en déguisant son talent sous les livrées de la médiocrité, après avoir remarqué la rapidité avec laquelle s’avançaient les gens qui donnaient peu d’ombrage au maître.

Les deux amis furent obligés de se quitter en se donnant une cordiale poignée de main. La ritournelle qui prévenait les dames de former les quadrilles d’une nouvelle contredanse chassa les hommes du vaste espace où ils causaient au milieu du salon. Cette conversation rapide, tenue dans l’intervalle qui sépare toujours les contredanses, eut lieu devant la cheminée du grand salon de l’hôtel Gondreville. Les demandes et les réponses de ce bavardage assez commun au bal avaient été comme soufflées par chacun des deux interlocuteurs à l’oreille de son voisin. Néanmoins les girandoles et les flambeaux de la cheminée répandaient une si abondante lumière sur les deux amis que leurs figures trop fortement éclairées ne purent déguiser, malgré leur discrétion diplomatique, l’imperceptible expression de leurs sentiments, ni à la fine comtesse, ni à la candide inconnue. Cet espionnage de la pensée est peut-être chez les oisifs un des plaisirs qu’ils trouvent dans le monde, tandis que tant de niais dupés s’y ennuient sans oser en convenir.

Pour comprendre tout l’intérêt de cette conversation, il est nécessaire de raconter un événement qui par d’invisibles liens allait réunir les personnages de ce petit drame, alors épars dans les salons. À onze heures du soir environ, au moment où les danseuses reprenaient leurs places, la société de l’hôtel Gondreville avait vu ap-