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vous passez en un moment de la princesse allemande à la demoiselle de compagnie.

Le général Montcornet arrêta par le bras un petit homme gras dont les cheveux grisonnants et les yeux spirituels se voyaient à toutes les encoignures de portes, et qui se mêlait sans cérémonie aux différents groupes où il était respectueusement accueilli.

— Gondreville, mon cher ami, lui dit Montcornet, quelle est donc cette charmante petite femme assise là-bas sous cet immense candélabre ?

— Le candélabre ? Ravrio, mon cher, Isabey en a donné le dessin.

— Oh ! j’ai déjà reconnu ton goût et ton faste dans le meuble ; mais la femme ?

Ah ! je ne la connais pas. C’est sans doute une amie de ma femme.

— Ou ta maîtresse, vieux sournois.

— Non, parole d’honneur ! La comtesse de Gondreville est la seule femme capable d’inviter des gens que personne ne connaît.

Malgré cette observation pleine d’aigreur, le gros petit homme conserva sur ses lèvres le sourire de satisfaction intérieure que la supposition du colonel des cuirassiers y avait fait naître. Celui-ci rejoignit, dans un groupe voisin, le maître des requêtes occupé alors à y chercher, mais en vain, des renseignements sur l’inconnue. Il le saisit par le bras et lui dit à l’oreille : — Mon cher Martial, prends garde à toi ! Madame de Vaudremont te regarde depuis quelques minutes avec une attention désespérante, elle est femme à deviner au mouvement seul de tes lèvres ce que tu me dirais, nos yeux n’ont été déjà que trop significatifs, elle en a très-bien aperçu et suivi la direction, et je la crois en ce moment plus occupée que nous-mêmes de la petite dame bleue.

— Vieille ruse de guerre, mon cher Montcornet ! que m’importe d’ailleurs ? Je suis comme l’empereur, quand je fais des conquêtes, je les garde.

— Martial, ta fatuité cherche des leçons. Comment ! péquin, tu as le bonheur d’être le mari désigné de madame de Vaudremont, d’une veuve de vingt-deux ans, affligée de quatre mille napoléons de rente, d’une femme qui te passe au doigt des diamants aussi beaux que celui-ci, ajouta-t-il en prenant la main gauche du maître des requêtes qui la lui abandonna complaisamment, et tu as encore la prétention de faire le Lovelace, comme si tu étais co-