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— Vous croyez, Montcornet ? Ce serait donc une femme mariée ?

— Pourquoi ne serait-elle pas veuve ?

— Elle serait plus active, dit en riant le maître des requêtes.

— Peut-être est-ce une veuve dont le mari joue à la bouillotte, répliqua le beau cuirassier.

— En effet, depuis la paix, il se fait tant de ces sortes de veuves ? répondit Martial. Mais, mon cher Montcornet, nous sommes deux niais. Cette tête exprime encore trop d’ingénuité, il respire encore trop de jeunesse et de verdeur sur le front et autour des tempes, pour que ce soit une femme. Quels vigoureux tons de carnation ! rien n’est flétri dans les méplats du nez. Les lèvres, le menton, tout dans cette figure est frais comme un bouton de rose blanche, quoique la physionomie en soit comme voilée par les nuages de la tristesse. Qui peut faire pleurer cette jeune personne ?

— Les femmes pleurent pour si peu de chose, dit le colonel.

— Je ne sais, reprit Martial, mais elle ne pleure pas d’être là sans danser, son chagrin ne date pas d’aujourd’hui ; l’on voit qu’elle s’est faite belle pour ce soir par préméditation. Elle aime déjà, je le parierais.

— Bah ? peut-être est-ce la fille de quelque princillon d’Allemagne, personne ne lui parle, dit Montcornet.

— Ah ! combien une pauvre fille est malheureuse, reprit Martial. A-t-on plus de grâce et de finesse que notre petite inconnue ? Eh ! bien, pas une des mégères qui l’entourent et qui se disent sensibles ne lui adressera la parole. Si elle parlait, nous verrions si ses dents sont belles.

— Ah çà ! tu t’emportes donc comme le lait à la moindre élévation de température ? s’écria le colonel un peu piqué de rencontrer si promptement un rival dans son ami.

— Comment ! dit le maître des requêtes sans s’apercevoir de l’interrogation du général et en dirigeant son lorgnon sur tous les personnages qui les entouraient, comment ! personne ici ne pourra nous nommer cette fleur exotique ?

— Eh ! c’est quelque demoiselle de compagnie, lui dit Montcornet.

— Bon ! une demoiselle de compagnie parée de saphirs dignes d’une reine et une robe de Malines ? À d’autres, général ! Vous ne serez pas non plus très-fort en diplomatie si dans vos évaluations