Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/317

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dans les premiers jours du mois de décembre 1829, un homme dont les cheveux entièrement blanchis et la physionomie semblaient annoncer qu’il était plutôt vieilli par les chagrins que par les années, car il paraissait avoir environ soixante ans, passait à minuit par la rue de Gaillon. Arrivé devant une maison de peu d’apparence et haute de deux étages, il s’arrêta pour y examiner une des fenêtres élevées en mansarde à des distances égales au milieu de la toiture. Une faible lueur colorait à peine cette humble croisée dont quelques-uns des carreaux avaient été remplacés par du papier. Le passant regardait cette clarté vacillante avec l’indéfinissable curiosité des flâneurs parisiens, lorsqu’un jeune homme sortit tout à coup de la maison. Comme les pâles rayons du réverbère frappaient la figure du curieux, il ne paraîtra pas étonnant que, malgré la nuit, le jeune homme s’avançât vers le passant avec ces précautions dont on use à Paris quand on craint de se tromper en rencontrant une personne de connaissance.

— Hé quoi ! s’écria-t-il, c’est vous, monsieur le président, seul, à pied, à cette heure, et si loin de la rue Saint-Lazare ! Permettez-moi d’avoir l’honneur de vous offrir le bras. Le pavé, ce matin, est si glissant que si nous ne nous soutenions pas l’un l’autre, dit-il afin de ménager l’amour-propre du vieillard, il nous serait bien difficile d’éviter une chute.

— Mais, mon cher monsieur, je n’ai encore que cinquante ans, malheureusement pour moi, répondit le comte de Granville. Un médecin, promis comme vous à une haute célébrité, doit savoir qu’à cet âge un homme est dans toute sa force.

— Vous êtes donc alors en bonne fortune, reprit Horace Bianchon. Vous n’avez pas, je pense, l’habitude d’aller à pied dans Paris. Quand on a d’aussi beaux chevaux que les vôtres…

— Mais la plupart du temps, répondit le président Granville, quand je ne vais pas dans le monde, je reviens du Palais-Royal ou de chez monsieur de Livry à pied.

— Et en portant sans doute sur vous de fortes sommes, s’écria le jeune docteur. N’est-ce pas appeler le poignard des assassins.

— Je ne crains pas ceux-là, répliqua le comte de Granville d’un air triste et insouciant.

— Mais du moins l’on ne s’arrête pas, reprit le médecin en en-