Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/310

Cette page a été validée par deux contributeurs.

celui de madame de Granville, qui, alors âgée de trente-cinq ans, paraissait en avoir quarante. Quand, obligé par le décorum, Granville adressait la parole à sa femme ou restait à dîner au logis, heureuse de lui imposer sa présence, ses discours aigres-doux et l’insupportable ennui de sa société bigote, elle essayait alors de le mettre en faute devant ses gens et ses charitables amies. La présidence d’une cour royale fut offerte au comte de Granville, alors très-bien en cour, il pria le ministère de le laisser à Paris. Ce refus, dont les raisons ne furent connues que du Garde-des-sceaux, suggéra les plus bizarres conjectures aux intimes amies et au confesseur de la comtesse. Granville, riche de cent mille livres de rente, appartenait à l’une des meilleures maisons de la Normandie ; sa nomination à une présidence était un échelon pour arriver à la pairie ; d’où venait ce peu d’ambition ? d’où venait l’abandon de son grand ouvrage sur le droit ? d’où venait cette dissipation qui, depuis près de six années, l’avait rendu étranger à sa maison, à sa famille, à ses travaux, à tout ce qui devait lui être cher ? Le confesseur de la comtesse, qui pour parvenir à un évêché comptait autant sur l’appui des maisons où il régnait que sur les services rendus à une congrégation de laquelle il fut l’un des plus ardents propagateurs, se trouva désappointé par le refus de Granville et tâcha de le calomnier par des suppositions : si monsieur le comte avait tant de répugnance pour la province, peut-être s’effrayait-il de la nécessité où il serait d’y mener une conduite régulière ? forcé de donner l’exemple des bonnes mœurs, il vivrait avec la comtesse, de laquelle une passion illicite pouvait seule l’éloigner ? une femme aussi pure que madame de Granville reconnaîtrait-elle jamais les dérangements survenus dans la conduite de son mari ?… Les bonnes amies transformèrent en vérités ces paroles qui malheureusement n’étaient pas des hypothèses, et madame de Granville fut frappée comme d’un coup de foudre. Sans idées sur les mœurs du grand monde, ignorant l’amour et ses folies, Angélique était si loin de penser que le mariage pût comporter des incidents différents de ceux qui lui aliénèrent le cœur de Granville qu’elle le crut incapable de fautes qui pour toutes les femmes sont des crimes. Quand le comte ne réclama plus rien d’elle, elle avait imaginé que le calme dont il paraissait jouir était dans la nature ; enfin, comme elle lui avait donné tout ce que son cœur pouvait renfermer d’affection pour