lant de toi, quand je l’ai vue fille unique ; mais tu comprends aisément qu’une fois mariée, tu l’emmèneras à Paris. Là, les fêtes, le mariage, la comédie et l’entraînement de la vie parisienne lui feront facilement oublier les confessionnaux, les jeûnes, les cilices et les messes dont se nourrissent exclusivement ces créatures.
— Mais les cinquante mille livres de rentes provenues des biens ecclésiastiques ne retourneront-elles pas…
— Nous y voilà, s’écria le comte d’un air fin. En considération du mariage, car la vanité de madame Bontems n’a pas été peu chatouillée par l’idée d’enter les Bontems sur l’arbre généalogique des Granville, la susdite mère donne sa fortune en toute propriété à la petite, en ne s’en réservant que l’usufruit. Aussi le sacerdoce s’oppose-t-il à ton mariage ; mais j’ai fait publier les bans, tout est prêt, et en huit jours tu seras hors des griffes de la mère ou de ses abbés. Tu posséderas la plus jolie fille de Bayeux, une petite commère qui ne te donnera pas de chagrin, parce que ça aura des principes. Elle a été mortifiée, comme ils disent dans leur jargon, par les jeûnes, par les prières, et ajouta-t-il à voix basse, par sa mère.
Un coup frappé discrètement à la porte imposa silence au comte, qui crut voir entrer les deux dames. Un petit domestique à l’air affairé se montra ; mais, intimidé par l’aspect des deux personnages, il fit un signe à la bonne qui vint près de lui. Vêtu d’un gilet de drap bleu à petites basques qui flottaient sur ses hanches, et d’un pantalon rayé bleu et blanc, ce garçon avait les cheveux coupés en rond : sa figure ressemblait à celle d’un enfant de chœur, tant elle peignait cette componction forcée que contractent tous les habitants d’une maison dévote.
— Mademoiselle Gatienne, savez-vous où sont les livres pour l’office de la Vierge ? Les dames de la congrégation du Sacré-Cœur font ce soir une procession dans l’église.
Gatienne alla chercher les livres.
— Y en a-t-il encore pour long-temps, mon petit milicien, demanda le comte.
— Oh ! pour une demi-heure au plus.
— Allons voir ça, il y a de jolies femmes, dit le père à son fils. D’ailleurs, une visite à la cathédrale ne peut pas nous nuire.
Le jeune avocat suivit son père d’un air irrésolu.
— Qu’as-tu donc ? lui demanda le comte.
— J’ai, mon père, j’ai… que j’ai raison.