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toutes les grâces de cette jeune mère en multipliant sur elle, autour d’elle, sur ses vêtements et sur l’enfant ces effets pittoresques produits par les combinaisons de l’ombre et de la lumière. Le visage de cette femme calme et silencieuse parut mille fois plus doux que jamais à Roger, qui regarda tendrement ces lèvres chiffonnées et vermeilles d’où jamais encore aucune parole discordante n’était sortie. La même pensée brilla dans les yeux de Caroline qui examina Roger du coin de l’œil, soit pour jouir de l’effet qu’elle produisait sur lui, soit pour deviner l’avenir de la soirée.

L’inconnu, qui comprit la coquetterie de ce regard fin, dit avec une feinte tristesse : — Il faut que je parte. J’ai une affaire très-grave à terminer, et l’on m’attend chez moi. Le devoir avant tout, n’est-ce pas, ma chérie ?

Caroline l’espionna d’un air à la fois triste et doux, mais avec cette résignation qui ne laisse ignorer aucune des douleurs d’un sacrifice : — Adieu, dit-elle. Va-t’en ! Si tu restais une heure de plus, je ne te donnerais pas facilement ta liberté.

— Mon ange, répondit-il alors en souriant, j’ai trois jours de congé, et suis censé à vingt lieues de Paris.

Quelques jours après l’anniversaire de ce 6 mai, mademoiselle de Bellefeuille accourut un matin dans la rue Saint-Louis, au Marais, en souhaitant ne pas arriver trop tard dans une maison où elle se rendait ordinairement tous les huit jours. Un exprès venait de lui apprendre que sa mère, madame Crochard, succombait à une complication de douleurs produites chez elle par ses catarrhes et par ses rhumatismes. Pendant que le cocher de fiacre fouettait ses chevaux d’après une invitation pressante que Caroline fortifia par la promesse d’un ample pour-boire, les vieilles femmes timorées desquelles la veuve Crochard s’était fait une société pendant ses derniers jours, introduisaient un prêtre dans l’appartement commode et propre occupé par la vieille comparse au second étage de la maison. La servante de madame Crochard ignorait que la jolie demoiselle chez laquelle sa maîtresse allait souvent dîner fût sa propre fille ; et, l’une des premières, elle sollicita l’intervention d’un confesseur, en espérant que cet ecclésiastique lui serait au moins aussi utile qu’à la malade. Entre deux bostons, ou en se promenant au jardin Turc, les vieilles femmes avec lesquelles la veuve Crochard caquetait tous les jours, avaient réussi à réveiller dans le