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simir clair, avaient les formes gracieuses et légères ordonnées par le dernier caprice de la mode : une commode en bois indigène, incrustée de filets bruns, gardait les trésors de la parure ; un secrétaire pareil servait à écrire de doux billets sur un papier parfumé ; le lit, drapé à l’antique, ne pouvait inspirer que des idées de volupté par la mollesse de ses mousselines élégamment jetées ; les rideaux, de soie grise à franges vertes, étaient toujours étendus de manière à intercepter le jour ; une pendule de bronze représentait l’Amour couronnant Psyché ; enfin, un tapis à dessins gothiques imprimés sur un fond rougeâtre faisait ressortir les accessoires de ce lieu plein de délices. En face d’une psyché se trouvait une petite toilette, devant laquelle l’ex-brodeuse s’impatientait de la science de Plaisir, un illustre coiffeur.

— Espérez-vous finir ma coiffure aujourd’hui ? dit-elle.

— Madame a les cheveux si longs et si épais, répondit Plaisir.

Caroline ne put s’empêcher de sourire. La flatterie de l’artiste avait sans doute réveillé dans son cœur le souvenir des louanges passionnées que lui adressait son ami sur la beauté d’une chevelure qu’il idolâtrait. Le coiffeur parti, la femme de chambre vint tenir conseil avec elle sur la toilette qui plairait le plus à Roger. On était alors au commencement de septembre 1816, il faisait froid : une robe de grenadine verte garnie en chinchilla fut choisie. Aussitôt sa toilette terminée, Caroline s’élança vers le salon, y ouvrit une croisée qui donnait sur l’élégant balcon dont la façade de la maison était décorée et se croisa les bras en s’appuyant sur une rampe en fer bronzé ; elle resta là dans une attitude charmante, non pour s’offrir à l’admiration des passants et leur voir tourner la tête vers elle, mais pour regarder la petite portion de boulevard qu’elle pouvait apercevoir au bout de la rue Taitbout. Cette échappée de vue, que l’on comparerait volontiers au trou pratiqué pour les acteurs dans un rideau de théâtre, lui permettait de distinguer une multitude de voitures élégantes et une foule de monde emportées avec la rapidité des ombres chinoises. Ignorant si Roger viendrait à pied ou en voiture, l’ancienne ouvrière de la rue du Tourniquet examinait tour à tour les piétons et les tilburys, voitures légères récemment importées en France par les Anglais. Des expressions de mutinerie et d’amour passaient sur sa jeune figure quand, après un quart d’heure d’attente, son œil perçant ou son cœur ne lui avaient pas encore fait reconnaître celui qu’elle sa-