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de soleil qui va disparaître. Chacun semblait comprendre la valeur de ce moment fugitif où, dans la vie, le cœur se trouve entre deux espérances : les souhaits du passé, les promesses de l’avenir. À cet aspect, Ginevra sentit son cœur se gonfler, et pressa le bras de Luigi qui lui lança un regard. Une larme roula dans les yeux du jeune Corse, il ne comprit jamais mieux qu’alors tout ce que sa Ginevra lui sacrifiait. Cette larme précieuse fit oublier à la jeune fille l’abandon dans lequel elle se trouvait. L’amour versa des trésors de lumière entre les deux amants qui ne virent plus qu’eux au milieu de ce tumulte : ils étaient là, seuls, dans cette foule, tels qu’ils devaient être dans la vie. Leurs témoins indifférents à la cérémonie, causaient tranquillement de leurs affaires.

— L’avoine est bien chère, disait le maréchal-des-logis au maçon.

— Elle n’est pas encore si renchérie que le plâtre, proportion gardée, répondit l’entrepreneur.

Et ils firent un tour dans la salle.

— Comme on perd du temps ici, s’écria le maçon en remettant dans sa poche une grosse montre d’argent.

Luigi et Ginevra, serrés l’un contre l’autre, semblaient ne faire qu’une même personne. Certes, un poëte aurait admiré ces deux têtes unies par un même sentiment, également colorées, mélancoliques et silencieuses en présence de deux noces bourdonnant, devant quatre familles tumultueuses, étincelant de diamants, de fleurs, et dont la gaieté avait quelque chose de passager. Tout ce que ces groupes bruyants et splendides mettaient de joie en dehors, Luigi et Ginevra l’ensevelissaient au fond de leurs cœurs. D’un côté, le grossier fracas du plaisir ; de l’autre, le délicat silence des âmes joyeuses : la terre et le ciel. Mais la tremblante Ginevra ne sut pas entièrement dépouiller les faiblesses de la femme. Superstitieuse comme une Italienne, elle voulut voir un présage dans ce contraste, et garda au fond de son cœur un sentiment d’effroi, invincible autant que son amour.

Tout à coup, un garçon de bureau à la livrée de la ville ouvrit une porte à deux battants, l’on fit silence, et sa voix retentit comme un glapissement en appelant monsieur Luigi de Porta et mademoiselle Ginevra di Piombo. Ce moment causa quelque embarras aux deux fiancés. La célébrité du nom de Piombo attira l’attention, les spectateurs cherchèrent une noce qui semblait devoir être somptueuse. Ginevra se leva, ses regards foudroyants d’orgueil