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s’élança sur sa fille. Le plus jeune des deux notaires et l’un des témoins se jetèrent entre lui et Ginevra : mais Bartholoméo renversa brutalement les deux conciliateurs en leur montrant une figure en feu et des yeux flamboyants qui paraissaient plus terribles que ne l’était la clarté du poignard. Quand Ginevra se vit en présence de son père, elle le regarda fixement d’un air de triomphe, s’avança lentement vers lui et s’agenouilla.

— Non ! non ! je ne saurais, dit-il en lançant si violemment son arme qu’elle alla s’enfoncer dans la boiserie.

— Eh ! bien, grâce ! grâce, dit-elle. Vous hésitez à me donner la mort, et vous me refusez la vie. Ô mon père, jamais je ne vous ai tant aimé, accordez-moi Luigi ! Je vous demande votre consentement à genoux : une fille peut s’humilier devant son père ; mon Luigi, ou je meurs.

L’irritation violente qui la suffoquait l’empêcha de continuer, elle ne trouvait plus de voix ; ses efforts convulsifs disaient assez qu’elle était entre la vie et la mort. Bartholoméo repoussa durement sa fille.

— Fuis, dit-il. La Luigi Porta ne saurait être une Piombo. Je n’ai plus de fille ! Je n’ai pas la force de te maudire ; mais je t’abandonne, et tu n’as plus de père. Ma Ginevra Piombo est enterrée là, s’écria-t-il d’un son de voix profond, en se pressant fortement le cœur. — Sors donc, malheureuse, ajouta-t-il après un moment de silence, sors, et ne reparais plus devant moi. Puis, il prit Ginevra par le bras, et la conduisit silencieusement hors de la maison.

Luigi, s’écria Ginevra en entrant dans le modeste appartement où était l’officier, mon Luigi, nous n’avons d’autre fortune que notre amour.

— Nous sommes plus riches que tous les rois de la terre, répondit-il.

— Mon père et ma mère m’ont abandonnée, dit-elle avec une profonde mélancolie.

— Je t’aimerai pour eux.

— Nous serons donc bien heureux ? s’écria-t-elle avec une gaieté qui eut quelque chose d’effrayant.

— Et toujours, répondit-il en la serrant sur son cœur.

Le lendemain du jour où Ginevra quitta la maison de son père, elle alla prier madame Servin de lui accorder un asile et sa protec-