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gnaient toute son agitation : — Vous croyez peut-être faire plier ma volonté ? détrompez-vous : je ne veux pas qu’un Porta soit mon gendre. Telle est ma sentence. Qu’il ne soit plus question de ceci entre nous. Je suis Bartholoméo di Piombo, entendez-vous, Ginevra ?

— Attachez-vous quelque sens mystérieux à ces paroles ? demanda-t-elle froidement.

— Elles signifient que j’ai un poignard, et que je ne crains pas la justice des hommes. Nous autres Corses, nous allons nous expliquer avec Dieu.

— Eh bien ! dit la fille en se levant, je suis Ginevra di Piombo, et je déclare que dans six mois je serai la femme de Luigi Porta. — Vous êtes un tyran, mon père, ajouta-t-elle après une pause effrayante.

Bartholoméo serra ses poings et frappa sur le marbre de la cheminée : Ah ! nous sommes à Paris, dit-il en murmurant.

Il se tut, se croisa les bras, pencha la tête sur sa poitrine et ne prononça plus une seule parole pendant toute la soirée. Après avoir exprimé sa volonté, la jeune fille affecta un sang-froid incroyable, elle se mit au piano, chanta, joua des morceaux ravissants avec une grâce et un sentiment qui annonçaient une parfaite liberté d’esprit, triomphant ainsi de son père dont le front ne paraissait pas s’adoucir. Le vieillard ressentit cruellement cette tacite injure, et recueillit en ce moment un des fruits amers de l’éducation qu’il avait donnée à sa fille. Le respect est une barrière qui protége autant un père et une mère que les enfants, en évitant à ceux-là des chagrins, à ceux-ci des remords. Le lendemain Ginevra, qui voulut sortir à l’heure où elle avait coutume de se rendre à l’atelier, trouva la porte de l’hôtel fermée pour elle ; mais elle eut bientôt inventé un moyen d’instruire Luigi Porta des sévérités paternelles. Une femme de chambre qui ne savait pas lire fit parvenir au jeune officier la lettre que lui écrivit Ginevra. Pendant cinq jours les deux amants surent correspondre, grâce à ces ruses qu’on sait toujours machiner à vingt ans. Le père et la fille se parlèrent rarement. Tous deux gardant au fond du cœur un principe de haine, ils souffraient, mais orgueilleusement et en silence. En reconnaissant combien étaient forts les liens d’amour qui les attachaient l’un à l’autre, ils essayaient de les briser, sans pouvoir y parvenir. Nulle pensée douce ne venait plus comme autrefois égayer les traits sévères de Bartholoméo quand il contemplait sa