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compris du premier coup les observations du maître et semblait travailler par grâce ; elle se servait d’un lorgnon, ne venait que très-parée, tard, et suppliait ses compagnes de parler bas. Dans ce second groupe, on eût remarqué des tailles délicieuses, des figures distinguées ; mais les regards de ces jeunes filles offraient peu de naïveté. Si leurs attitudes étaient élégantes et leurs mouvements gracieux, les figures manquaient de franchise, et l’on devinait facilement qu’elles appartenaient à un monde où la politesse façonne de bonne heure les caractères, où l’abus des jouissances sociales tue les sentiments et développe l’égoïsme. Lorsque cette réunion était complète, il se trouvait dans le nombre de ces jeunes filles des têtes enfantines, des vierges d’une pureté ravissante, des visages dont la bouche légèrement entr’ouverte laissait voir des dents vierges, et sur laquelle errait un sourire de vierge. L’atelier ne ressemblait pas alors à un sérail, mais à un groupe d’anges assis sur un nuage dans le ciel.

Il était environ midi, Servin n’avait pas encore paru, ses écolières savaient qu’il achevait un tableau pour l’exposition. Depuis quelques jours, la plupart du temps il restait à un atelier qu’il avait ailleurs. Tout à coup, mademoiselle Amélie Thirion, chef du parti aristocratique de cette petite assemblée, parla long-temps à sa voisine, et il se fit un grand silence dans le groupe des patriciennes. Le parti de la banque, étonné, se tut également, et tâcha de deviner le sujet d’une semblable conférence. Le secret des jeunes ultrà fut bientôt connu. Amélie se leva, prit à quelques pas d’elle un chevalet qu’elle alla placer à une assez grande distance du noble groupe, près d’une cloison grossière qui séparait l’atelier d’un cabinet obscur où l’on jetait les plâtres brisés, les toiles condamnées par le professeur, et où se mettait la provision de bois en hiver. L’action d’Amélie devait être bien hardie, car elle excita un murmure de surprise. La jeune élégante n’en tint compte, et acheva d’opérer le déménagement de sa compagne absente en roulant vivement près du chevalet la boîte à couleur et le tabouret, enfin tout, jusqu’à un tableau de Prudhon que copiait l’élève en retard. Ce coup d’état excita une stupéfaction générale. Si le côté droit se mit à travailler silencieusement, le côté gauche pérora longuement.

— Que va dire mademoiselle Piombo, demanda une jeune fille à mademoiselle Mathilde Roguin, l’oracle malicieux du premier groupe.