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profonde du logis. Pour lui, le visage d’Adélaïde se détachait sur une atmosphère lumineuse. Il répondit brièvement aux questions qui lui furent adressées et qu’il entendit heureusement, grâce à une singulière faculté de notre âme dont la pensée peut en quelque sorte se dédoubler parfois. À qui n’est-il pas arrivé de rester plongé dans une méditation voluptueuse ou triste, d’en écouter la voix en soi-même, et d’assister à une conversation ou à une lecture ? Admirable dualisme qui souvent aide à prendre les ennuyeux en patience ! Féconde et riante, l’espérance lui versa mille pensées de bonheur, et il ne voulut plus rien observer autour de lui. Enfant plein de confiance, il lui parut honteux d’analyser un plaisir. Après un certain laps de temps, il s’aperçut que la vieille dame et sa fille jouaient avec le vieux gentilhomme. Quant au satellite de celui-ci, fidèle à son état d’ombre, il se tenait debout derrière son ami dont le jeu le préoccupait, répondant aux muettes questions que lui faisait le joueur par de petites grimaces approbatives qui répétaient les mouvements interrogateurs de l’autre physionomie.

— Du Halga, je perds toujours, disait le gentilhomme.

— Vous écartez mal, répondait la baronne de Rouville.

— Voilà trois mois que je n’ai pas pu vous gagner une seule partie, reprit-il.

— Monsieur le comte a-t-il les as ? demanda la vieille dame.

— Oui. Encore un marqué, dit-il.

— Voulez-vous que je vous conseille ? disait Adélaïde.

— Non, non, reste devant moi. Ventre-de-biche ! ce serait trop perdre que de ne pas t’avoir en face.

Enfin la partie finit. Le gentilhomme tira sa bourse, et jetant deux louis sur le tapis, non sans humeur : — Quarante francs, juste comme de l’or, dit-il. Et diantre ! il est onze heures.

— Il est onze heures, répéta le personnage muet en regardant le peintre.

Le jeune homme, entendant cette parole un peu plus distinctement que toutes les autres, pensa qu’il était temps de se retirer. Rentrant alors dans le monde des idées vulgaires, il trouva quelques lieux communs pour prendre la parole, salua la baronne, sa fille, les deux inconnus, et sortit en proie aux premières félicités de l’amour vrai, sans chercher à s’analyser les petits événements de cette soirée.

Le lendemain, le jeune peintre éprouva le désir le plus violent