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peintre était profondément préoccupé de cette misère cachée, son âme généreuse en souffrait ; mais sachant ce que toute espèce de pitié, même la plus amie, peut avoir d’offensif, il se trouvait mal à l’aise du désaccord qui existait entre ses pensées et ses paroles. Les deux dames parlèrent d’abord de peinture, car les femmes devinent très-bien les secrets embarras que cause une première visite ; elles les éprouvent peut-être, et la nature de leur esprit leur fournit mille ressources pour les faire cesser. En interrogeant le jeune homme sur les procédés matériels de son art, sur ses études, Adélaïde et sa mère surent l’enhardir à causer. Les riens indéfinissables de leur conversation animée de bienveillance amenèrent tout naturellement Hippolyte à lancer des remarques ou des réflexions qui peignirent la nature de ses mœurs et de son âme. Les chagrins avaient prématurément flétri le visage de la vieille dame, sans doute belle autrefois ; mais il ne lui restait plus que les traits saillants, les contours, en un mot le squelette d’une physionomie dont l’ensemble indiquait une grande finesse, beaucoup de grâce dans le jeu des yeux où se retrouvait l’expression particulière aux femmes de l’ancienne cour et que rien ne saurait définir. Ces traits si fins, si déliés pouvaient tout aussi bien dénoter des sentiments mauvais, faire supposer l’astuce et la ruse féminines à un haut degré de perversité que révéler les délicatesses d’une belle âme. En effet, le visage de la femme a cela d’embarrassant pour les observateurs vulgaires, que la différence entre la franchise et la duplicité, entre le génie de l’intrigue et le génie du cœur, y est imperceptible. L’homme doué d’une vue pénétrante devine ces nuances insaisissables que produisent une ligne plus ou moins courbe, une fossette plus ou moins creuse, une saillie plus ou moins bombée ou proéminente. L’appréciation de ces diagnostics est tout entière dans le domaine de l’intuition, qui peut seule faire découvrir ce que chacun est intéressé à cacher. Il en était du visage de cette vieille dame comme de l’appartement qu’elle habitait : il semblait aussi difficile de savoir si cette misère couvrait des vices ou une haute probité, que de reconnaître si la mère d’Adélaïde était une ancienne coquette habituée à tout peser, à tout calculer, à tout vendre, ou une femme aimante, pleine de noblesse et d’aimables qualités. Mais à l’âge de Schinner, le premier mouvement du cœur est de croire au bien. Aussi, en contemplant le front noble et presque dédaigneux d’Adélaïde, en regardant ses