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jour ; où souvent, à l’aide de son ravissant babil, elle parvenait à deviner les secrets du cœur le plus mystérieux, où elle se plaisait à tourmenter tous les jeunes gens, à exciter avec une coquetterie instinctive des demandes qu’elle rejetait toujours.

La nature lui avait donné en profusion les avantages nécessaires au rôle qu’elle jouait. Grande et svelte, Émilie de Fontaine possédait une démarche imposante ou folâtre, à son gré. Son col un peu long lui permettait de prendre de charmantes attitudes de dédain et d’impertinence. Elle s’était fait un fécond répertoire de ces airs de tête et de ces gestes féminins qui expliquent si cruellement ou si heureusement les demi-mots et les sourires. De beaux cheveux noirs, des sourcils très-fournis et fortement arqués prêtaient à sa physionomie une expression de fierté que la coquetterie autant que son miroir lui avaient appris à rendre terrible ou à tempérer par la fixité ou par la douceur de son regard, par l’immobilité ou par les légères inflexions de ses lèvres, par la froideur ou la grâce de son sourire. Quand Émilie voulait s’emparer d’un cœur, sa voix pure ne manquait pas de mélodie ; mais elle pouvait aussi lui imprimer une sorte de clarté brève quand elle entreprenait de paralyser la langue indiscrète d’un cavalier. Sa figure blanche et son front de marbre étaient semblables à la surface limpide d’un lac qui tour à tour se ride sous l’effort d’une brise ou reprend sa sérénité joyeuse quand l’air se calme. Plus d’un jeune homme en proie à ses dédains l’accusait de jouer la comédie ; mais tant de feux éclataient, tant de promesses jaillissaient de ses yeux noirs, qu’elle se justifiait en faisant bondir le cœur de ses élégants danseurs sous leurs fracs noirs. Parmi les jeunes filles à la mode, nulle mieux qu’elle ne savait prendre un air de hauteur en recevant le salut d’un homme qui n’avait que du talent, ou déployer cette politesse insultante pour les personnes qu’elle regardait comme ses inférieures, et déverser son impertinence sur tous ceux qui essayaient de marcher au pair avec elle. Elle semblait, partout où elle se trouvait, recevoir plutôt des hommages que des compliments ; et même chez une princesse, sa tournure et ses airs eussent converti le fauteuil sur lequel elle se serait assise, en un trône impérial.

Monsieur de Fontaine découvrit trop tard combien l’éducation de la fille qu’il aimait le plus avait été faussée par la tendresse de toute la famille. L’admiration que le monde témoigne d’abord à une jeune personne, mais de laquelle il ne tarde pas à se venger,