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sans avoir rien fait de ce que font les autres ; sans aucune attache, aucune racine, aucun lien, presque sans amis, sans parents, sans femme, sans enfants.

Donc, j’atteignis doucement et vivement la quarantaine ; et pour fêter cet anniversaire, je m’offris, à moi tout seul, un bon dîner dans un grand café. J’étais un solitaire dans le monde ; je jugeai plaisant de célébrer cette date en solitaire.

Après dîner, j’hésitai sur ce que je ferais. J’eus envie d’entrer dans un théâtre ; et puis l’idée me vint d’aller en pèlerinage au quartier Latin, où j’avais fait mon droit jadis. Je traversai donc Paris, et j’entrai sans préméditation dans une de ces brasseries où l’on est servi par des filles.

Celle qui prenait soin de ma table était toute jeune, jolie et rieuse. Je lui offris une consommation quelle accepta tout de suite. Elle s’assit en face de moi et me regarda de son œil exercé, sans savoir à quel genre de mâle elle avait affaire. C’était une blonde, ou plutôt une blondine, une franche, toute franche créature qu’on devinait rose et potelée sous l’étoffe gonflée du corsage. Je lui dis les choses galantes et bêtes qu’on dit toujours à