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Mais Léopold était malheureux dans son ménage. Sa femme le harcelait d’allusions désobligeantes, le martyrisait de sous-entendus. Et le temps passait ; un an déjà s’était écoulé depuis la mort de la tante. L’héritage semblait perdu.

Mme Bonnin, en se mettant à table, disait : « Nous avons peu de choses pour le dîner ; il en serait autrement si nous étions riches. »

Quand Léopold partait pour le bureau, Mme Bonnin, en lui donnant sa canne, disait : « Si nous avions cinquante mille livres de rente, tu n’aurais pas besoin d’aller trimer là-bas, monsieur le gratte-papier. »

Quand Mme Bonnin allait sortir par les jours de pluie, elle murmurait : « Si on avait une voiture, on ne serait pas forcé de se crotter par des temps pareils. »

Enfin, à toute heure, en toute occasion, elle semblait reprocher à son mari quelque chose de honteux, le rendant seul coupable, seul responsable de la perte de cette fortune.

Exaspéré il finit par l’emmener chez un grand médecin qui, après une longue consultation, ne se prononça pas, déclarant qu’il ne voyait rien ; que le cas se présentait assez fréquemment ; qu’il en est des corps comme des esprits ; qu’après avoir vu tant de ménages disjoints par incompatibilité d’humeur, il n’était pas étonnant d’en voir d’autres stériles par incompatibilité physique. Cela coûta quarante francs.

Un an s’écoula, la guerre était déclarée, une guerre incessante, acharnée, entre les deux époux,