Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, X.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ordinaire, ayant eu le temps de bien essuyer ses yeux.

Ils riaient tous les quatre, enchantés, car ils rapportaient un beau lapin, volé sans doute, et ils faisaient signe à la vieille qu’on allait manger quelque chose de bon.

Elle se mit tout de suite à la besogne pour préparer le déjeuner ; mais, quand il fallut tuer le lapin, le cœur lui manqua. Ce n’était pas le premier pourtant ! Un des soldats l’assomma d’un coup de poing derrière les oreilles.

Une fois la bête morte, elle fit sortir le corps rouge de la peau ; mais la vue du sang qu’elle maniait, qui lui couvrait les mains, du sang tiède qu’elle sentait se refroidir et se coaguler, la faisait trembler de la tête aux pieds ; et elle voyait toujours son grand coupé en deux, et tout rouge aussi, comme cet animal encore palpitant.

Elle se mit à table avec ses Prussiens, mais elle ne put manger, pas même une bouchée. Ils dévorèrent le lapin sans s’occuper d’elle. Elle les regardait de côté, sans parler, mûrissant une idée, et le visage tellement impassible qu’ils ne s’aperçurent de rien.

Tout à coup, elle demanda : « Je ne sais seulement point vos noms, et v’là un mois que nous sommes ensemble. » Ils comprirent,