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largement, l’avait injuriée à profusion, plus exaspéré que si elle lui eût pris son argent dans sa poche. Après un mois il ne pouvait encore parler de cela sans se mettre en fureur et sans crier des outrages. Oh, oui ! c’était bien une démoniaque, miss Harriet, la mère Lecacheur avait eu une inspiration de génie en la baptisant ainsi.

Le garçon d’écurie, qu’on appelait Sapeur parce qu’il avait servi en Afrique dans son jeune temps, nourrissait d’autres opinions. Il disait d’un air malin : « Ça est une ancienne qu’a fait son temps. »

Si la pauvre fille avait su ?

La petite bonne Céleste ne la servait pas volontiers, sans que j’eusse pu comprendre pourquoi. Peut-être uniquement parce qu’elle était étrangère, d’une autre race, d’une autre langue, et d’une autre religion. C’était une démoniaque enfin !

Elle passait son temps à errer par la campagne, cherchant et adorant Dieu dans la nature. Je la trouvai, un soir, à genoux dans un buisson. Ayant distingué quelque chose de rouge à travers les feuilles, j’écartai les branches, et miss Harriet se dressa, confuse d’avoir été vue ainsi, fixant sur moi des yeux effarés comme ceux des chats-huants surpris en plein jour.