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moyen d’une perte correspondante répartie sur tous les autres, il n’y aurait évidemment, dans l’ensemble, pas de progrès possible ; et, de plus, toutes les jalousies nationales seraient justifiées. Des idées vagues d’humanité, de fraternité, ne suffiraient certes pas pour déterminer une nation à se réjouir des progrès faits ailleurs, puisqu’ils se seraient faits à ses dépens. Les fraternitaires ne changeront jamais à ce point le cœur humain, et, dans l’hypothèse que j’envisage, cela n’est pas même désirable. Qu’y aurait-il d’honnête, de délicat à me réjouir de ce qu’un peuple s’élève vers le superflu, s’il en doit résulter qu’un autre peuple descende au-dessous du nécessaire ? Non, je ne suis tenu ni moralement ni religieusement à faire, fût-ce au nom de ma patrie, cet acte d’abnégation.

Ce n’est pas tout. Si cette espèce de bascule, était la loi des nations, elle serait aussi la loi des provinces, des communes, des familles. Le progrès national n’est pas d’une autre nature que le progrès individuel ; par où l’on voit que si l’axiome, dont je m’occupe, était une vérité au lieu d’être un sophisme, il n’y a pas un homme sur la terre qui ne dût perpétuellement s’efforcer d’étouffer le progrès de tous les autres, sauf à rencontrer chez tous le même effort contre lui-même. Ce conflit général serait l’état naturel de la société, et la Providence, en décrétant que le profit de l’un est le dommage de l’autre, aurait condamné l’homme à une guerre sans terme, et l’humanité à un niveau primitif invariable.

Il n’y a donc pas dans les sciences sociales de proposition qu’il soit plus important d’éclaircir. C’est la clef de voûte de tout l’édifice. Il faut absolument connaître la nature propre du progrès, et l’influence que la condition progressive d’un peuple exerce sur la condition des autres peuples. S’il est démontré que le progrès, dans une circonscription donnée, a pour cause ou pour effet une dépression proportionnelle