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n’ont pas de limites assignables, quoiqu’ils aient des limites absolues. On peut citer une multitude de points, au-dessus de l’humanité, auxquels elle ne parviendra jamais, sans qu’on puisse dire pour cela qu’il arrivera un instant où elle cessera de s’en approcher[1].

Je ne voudrais pas dire non plus que le désir et le moyen marchent parallèlement et d’un pas égal. Le désir court, et le moyen suit en boitant.

Cette nature prompte et aventureuse du désir, comparée à la lenteur de nos facultés, nous avertit qu’à tous les degrés de la civilisation, à tous les échelons du progrès, la souffrance dans une certaine mesure est et sera toujours le partage de l’homme. Mais elle nous enseigne aussi que cette souffrance a une mission, puisqu’il serait impossible de comprendre que le désir fût l’aiguillon de nos facultés, s’il les suivait au lieu de les précéder. Cependant n’accusons pas la nature d’avoir mis de la cruauté dans ce mécanisme, car il faut remarquer que le désir ne se transforme en véritable besoin, c’est-à-dire en désir douloureux, que lorsqu’il a été fait tel par l’habitude d’une satisfaction permanente, en d’autres termes, quand le moyen a été trouvé et mis irrévocablement à notre portée[2].

Nous avons aujourd’hui à examiner cette question : Quels sont les moyens que nous avons de pourvoir à nos besoins ?

Il me semble évident qu’il y en a deux : la Nature et le Travail, les dons de Dieu et les fruits de nos efforts, ou si

  1. Loi mathématique très-fréquente et très-méconnue en économie politique.
  2. Un des objets indirects de ce livre est de combattre des écoles sentimentalistes modernes qui, malgré les faits, n’admettent pas que la souffrance, à un degré quelconque, ait un but providentiel. Comme ces écoles disent procéder de Rousseau, je dois leur citer ce passage du maître : « Le mal que nous voyons n’est pas un mal absolu ; et, loin de combattre directement le bien, il concourt avec lui à l’harmonie universelle. »