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Il est donc naturel de commencer par étudier l’homme et son organisation.

Mais nous avons vu aussi qu’il n’est pas un être solitaire ; si ses besoins et ses satisfactions, en vertu de la nature de la sensibilité, sont inséparables de son être, il n’en est pas de même de ses efforts qui naissent du principe actif. Ceux-ci sont susceptibles de transmission. En un mot, les hommes travaillent les uns pour les autres.

Or il arrive une chose fort singulière.

Quand on considère d’une manière générale et, pour ainsi dire, abstraite, l’homme, ses besoins, ses efforts, ses satisfactions, sa constitution, ses penchants, ses tendances, on aboutit à une série d’observations qui paraissent à l’abri du doute et se montrent dans tout l’éclat de l’évidence, chacun en trouvant la preuve en soi-même. C’est au point que l’écrivain ne sait trop comment s’y prendre pour soumettre au public des vérités si palpables et si vulgaires, il craint de provoquer le sourire du dédain. Il lui semble, avec quelque raison, que le lecteur courroucé va jeter le livre, en s’écriant : « Je ne perdrai pas mon temps à apprendre ces trivialités. »

Et cependant ces vérités, tenues pour si incontestables tant qu’elles sont présentées d’une manière générale, que nous souffrons à peine qu’elles nous soient rappelées, ne passent plus que pour des erreurs ridicules, des théories absurdes, aussitôt qu’on observe l’homme dans le milieu social. Qui jamais, en considérant l’homme isolé, s’aviserait de dire : La production surabonde ; la faculté de consommer ne peut suivre la faculté de produire ; le luxe et les goûts factices sont la source de la richesse ; l’invention des machines anéantit le travail ; et autres apophthegmes de la même force qui, appliqués à des agglomérations humaines, passent cependant pour des axiomes si bien établis, qu’on en fait la base de nos lois industrielles et commerciales ?