nié le phénomène dont je parle. Il constate positivement et l’élasticité indéfinie des besoins, et la puissance de l’habitude, et le rôle même que je lui assigne, qui consiste à prévenir dans l’humanité un mouvement rétrograde. Seulement, ce que j’admire, il le déplore, et cela devait être. Rousseau suppose qu’il a été un temps où les hommes n’avaient ni droits, ni devoirs, ni relations, ni affections, ni langage, et c’est alors, selon lui, qu’ils étaient heureux et parfaits. Il devait donc abhorrer ce rouage de la mécanique sociale qui éloigne sans cesse l’humanité de la perfection idéale. Ceux qui pensent qu’au contraire la perfection n’est pas au commencement, mais à la fin de l’évolution humaine, admirent le ressort qui nous pousse en avant. Mais quant à l’existence et au jeu du ressort lui-même, nous sommes d’accord.
« Les hommes, dit-il, jouissant d’un fort grand loisir, employèrent à se procurer plusieurs sortes de commodités inconnues à leurs pères, et ce fut là le premier joug qu’ils s’imposèrent sans y songer, et la première source des maux qu’ils préparèrent à leurs descendants ; car, outre qu’ils continuèrent ainsi à s’amollir le corps et l’esprit, ces commodités ayant, par l’habitude, perdu presque tout leur agrément, et étant en même temps dégénérées en de vrais besoins, la privation en devint beaucoup plus cruelle que la possession n’en était douce, et l’on était malheureux de les perdre sans être heureux de les posséder. »
Rousseau était convaincu que Dieu, la nature et l’humanité avaient tort. Je sais que cette opinion domine encore beaucoup d’esprits, mais ce n’est pas la mienne.
Après tout, à Dieu ne plaise que je veuille m’élever ici contre le plus noble apanage, la plus belle vertu de l’homme, l’empire sur lui-même, la domination sur ses passions, la modération de ses désirs, le mépris des jouissances fastueuses ! Je ne dis pas qu’il doit se rendre esclave de tel ou