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Oui, l’inégalité factice, l’inégalité que la loi réalise en troublant l’ordre naturel du développement des diverses classes de la société, cette inégalité est pour toutes une source féconde d’irritation, de jalousie et de vices. C’est pourquoi il faut s’assurer enfin si cet ordre naturel ne conduit pas vers l’égalisation et l’amélioration progressive de toutes les classes : et nous serions arrêtés dans cette recherche par une fin de non-recevoir insurmontable, si ce double progrès matériel impliquait fatalement une double dégradation morale.

J’ai à faire sur les besoins humains une remarque importante, fondamentale même, en économie politique : c’est que les besoins ne sont pas une quantité fixe, immuable. Ils ne sont pas stationnaires, mais progressifs par nature.

Ce caractère se remarque même dans nos besoins les plus matériels : il devient plus sensible à mesure qu’on s’élève à ces désirs et à ces goûts intellectuels qui distinguent l’homme de la brute.

Il semble que, s’il est quelque chose en quoi les hommes doivent se ressembler, c’est le besoin d’alimentation, car, sauf les cas anormaux, les estomacs sont à peu près les mêmes.

Cependant les aliments qui auraient été recherchés à une époque sont devenus vulgaires à une autre époque, et le régime qui suffit à un lazzarone soumettrait un Hollandais à la torture. Ainsi ce besoin, le plus immédiat, le plus grossier, et, par conséquent, le plus uniforme de tous, varie encore suivant l’âge, le sexe, le tempérament, le climat et l’habitude.

Il en est ainsi de tous les autres. À peine l’homme est abrité qu’il veut se loger ; à peine il est vêtu, qu’il veut se décorer ; à peine il a satisfait les exigences de son corps, que l’étude, la science, l’art, ouvrent devant ses désirs un champ sans limites.