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Cela se voit souvent chez l’anatomiste ou l’astronome. Quelle chose merveilleuse, dit l’ignorant, que, lorsqu’un corps étranger pénètre dans notre tissu, où sa présence ferait de grands ravages, il s’établisse une inflammation et une suppuration qui tendent à l’expulser ! — Non, dit l’anatomiste, cette expulsion n’a rien d’intentionnel. Elle est un effet nécessaire de la suppuration, et la suppuration est elle-même un effet nécessaire de la présence d’un corps étranger dans nos tissus. Si vous voulez, je vais vous expliquer le mécanisme, et vous reconnaîtrez vous-même que l’effet suit la cause, mais que la cause n’a pas été arrangée intentionnellement pour produire l’effet, puisqu’elle est elle-même un effet nécessaire d’une cause antérieure.

Combien j’admire, dit l’ignorant, la prévoyance de Dieu, qui a voulu que la pluie ne s’épanchât pas en nappe sur le sol, mais tombât en gouttes, comme si elle venait de l’arrosoir du jardinier ! Sans cela toute végétation serait impossible. — Vous faites une vaine dépense d’admiration, répond le savant physicien. Le nuage n’est pas une nappe d’eau ; elle ne pourrait être supportée par l’atmosphère. C’est un amas de vésicules microscopiques semblables aux bulles de savon. Quand leur épaisseur s’augmente ou qu’elles crèvent sous une compression, ces milliards de gouttelettes tombent, s’accroissent en route de la vapeur d’eau qu’elles précipitent, etc… Si la végétation s’en trouve bien, c’est par accident ; mais il ne faut pas croire que Dieu s’amuse à vous envoyer de l’eau par le crible d’un immense arrosoir.

Ce qui peut donner quelque plausibilité à la science, lorsqu’elle considère ainsi l’enchaînement des causes et des effets, c’est que l’ignorance, il faut l’avouer, attribue très-souvent un phénomène à une intention finale qui n’existe pas et qui se dissipe devant la lumière.

Ainsi, au commencement, avant qu’on eût aucune con-