Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/658

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le Créateur ; c’est ternir, sur sa noble figure, le souffle de vie qui y resplendit depuis l’origine.

Mais de ce que nous proclamons bien haut, et comme notre article de foi le plus inébranlable, la perfectibilité humaine, le progrès nécessaire dans tous les sens, et, par une merveilleuse correspondance, d’autant plus actif dans un sens qu’il l’est davantage dans tous les autres, — est-ce à dire que nous soyons utopistes, que nous soyons même optimistes, que nous croyions tout pour le mieux dans le meilleur des mondes, et que nous attendions, pour un des prochains levers du soleil, le règne du Millenium ?

Hélas ! quand nous venons à jeter un coup d’œil sur le monde réel, où nous voyons se remuer dans l’abjection et dans la fange une masse encore si énorme de souffrances, de plaintes, de vices et de crimes ; quand nous cherchons à nous rendre compte de l’action morale qu’exercent, sur la société, des classes qui devraient signaler aux multitudes attardées les voies qui mènent à la Jérusalem nouvelle ; quand nous nous demandons ce que font les riches de leur fortune, les poëtes de l’étincelle divine que la nature avait allumée dans leur génie, les philosophes de leurs élucubrations, les journalistes du sacerdoce dont ils se sont investis, les hauts fonctionnaires, les ministres, les représentants, les rois, de la puissance que le sort a placée dans leurs mains ; quand nous sommes témoins de révolutions telles que celle qui a agité l’Europe dans ces derniers temps, et où chaque parti semble chercher ce qui, à la longue, doit être le plus funeste à lui-même et à l’humanité ; quand nous voyons la cupidité sous toutes les formes et dans tous les rangs, le sacrifice constant des autres à soi et de l’avenir au présent, et ce grand et inévitable moteur du genre humain, l’intérêt personnel, n’apparaissant encore que par ses manifestations les plus matérielles et les plus imprévoyantes ; quand nous voyons les classes laborieuses, rongées dans leur bien-être