Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/647

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle-même, et dans ces derniers temps nous avons entendu répéter à satiété : « Toutes les souffrances sociales sont imputables à l’économie politique[1]. » Pourquoi pas, quand elle se présente comme ayant pour but de réaliser le bonheur des hommes sans leur concours ? Quand de telles idées prévalent, la dernière chose dont les hommes s’avisent, c’est de tourner un regard sur eux-mêmes, et de chercher si la vraie cause de leurs maux n’est pas dans leur ignorance et leur injustice ; leur ignorance qui les place sous le coup de la Responsabilité, leur injustice qui attire sur eux les réactions de la solidarité. Comment l’humanité songerait-elle à chercher dans ses fautes la cause de ses maux, quand on lui persuade qu’elle est inerte par nature, que le principe de toute action, et par conséquent de toute responsabilité, est placé en dehors d’elle, dans la volonté du prince et du législateur ?

Si j’avais à signaler le trait caractéristique qui différencie le Socialisme de la science économique, je le trouverais là. Le Socialisme compte une foule innombrable de sectes. Chacune d’elles a son utopie, et l’on peut dire qu’elles sont si loin de s’entendre, qu’elles se font une guerre acharnée. Entre l’atelier social organisé de M. Blanc, et l’an-archie de M. Proudhon, entre l’association de Fourier et le communisme de M. Cabet, il y a certes aussi loin que de la nuit au jour. Comment donc des chefs d’école se rangent-ils sous la dénomination commune de Socialistes, et quel est le lien qui les unit contre la société naturelle ou providentielle ? Il n’y en a pas d’autre que celui-là : Ils ne veulent pas la société naturelle. Ce qu’ils veulent, c’est une société artificielle,

  1. La misère est le fait de l’économie politique… l’économie politique a besoin que la mort lui vienne en aide… c’est la théorie de l’instabilité et du vol. (Proudhon, Contradictions économiques, t. II, p. 214.)

    Si les subsistances manquent au peuple… c’est la faute de l’économie politique. (Ibidem, p. 430.)